« Nous voulons rentrer au pays » : Constant est venu tôt vendredi à l’ambassade de Côte d’Ivoire en Tunisie pour se faire rapatrier, après une vague d’arrestations et des propos très durs du président Kais Saied à l’encontre des migrants subsahariens.
Pendant deux heures, un ballet incessant de taxis dépose des dizaines de personnes venues dans l’espoir qu’Abidjan organise au plus vite des vols retour.
Un couple, expulsé de son logement, a déposé des baluchons et des valises à même le trottoir.
Trois jeunes femmes descendent d’une voiture conduite par une élégante Tunisienne. Sous couvert d’anonymat, elle confie à l’AFP que « ce sont des employées de son salon d’esthétique depuis deux ans » qu’elle a accompagnées pour s’inscrire pour quitter la Tunisie « où elles ne se sentent plus en sécurité ».
Pour Aboubacar Dobe, directeur de la Radio Libre Francophone, un média communautaire africain, « c’est évident qu’il y a une différence entre avant et après le discours » du président Saied.
Mardi soir, M. Saied a annoncé des « mesures urgentes » contre l’immigration illégale subsaharienne en Tunisie, dénonçant l’arrivée de « hordes de clandestins » et « une entreprise criminelle pour changer la composition démographique » du pays, des propos condamnés vendredi par l’Union Africaine qui a invité ses états membres à « s’abstenir de tout discours haineux à caractère raciste, susceptible de nuire aux personnes ».
« Quand c’était juste le Parti nationaliste tunisien (ouvertement raciste, NDLR) ou les réseaux sociaux, les gens se disaient que l’Etat allait les protéger mais maintenant ils se sentent abandonnés », explique M. Dobe, disant lui-même faire l’objet de menaces téléphoniques.
Constant, sans travail depuis six mois, a formé un groupe WhatsApp de migrants voulant rentrer. Beaucoup d’entre eux dénoncent ces dernières nuits des incendies au pied d’immeubles ou des tentatives d’intrusion chez des compatriotes à Tunis et à Sfax, ville d’où partent régulièrement vers l’Europe des dizaines de migrants en situation irrégulière.
« Les bailleurs (propriétaires) nous mettent dehors, on nous frappe, on nous maltraite. Pour plus de sécurité, on préfère venir à notre ambassade s’inscrire pour rentrer », confie Wilfrid Badia, 34 ans, qui vivote de petits boulots depuis 6 ans.
Pour Hosni Maati, avocat au barreau de Paris, qui assiste l’Association des Ivoiriens de Tunisie, « depuis le discours du président, les gens se lâchent complètement ».
– « Méandres administratifs » –
La situation d’illégalité de beaucoup de Subsahariens n’est pas nouvelle mais avant les autorités « fermaient les yeux », explique-t-il. Ce qui permettait à certains « d’exploiter » des travailleurs à bas coût, à côté d' »employeurs de bonne foi qui affrontent des méandres administratifs » rendant difficile toute régularisation.
Les arrestations ont débuté il y a deux semaines et concerné jusqu’à 400 personnes, pour la plupart libérées depuis, selon des ONG et témoignages.
« On ne règle pas une situation aussi complexe avec un discours et des arrestations à tout va », plaide l’avocat franco-tunisien.
Jean Bedel Gnabli, vice-président du Comité des leaders subsahariens, fait état d’une « psychose au sein de la communauté » qui inclut aussi des Sénégalais, Guinéens, Congolais ou Comoriens, qui « se sont sentis livrés à la vindicte populaire ».
Illustration d’un climat de panique: l’association des étudiants subsahariens AESAT leur recommande depuis mercredi « de ne plus sortir même pour aller en cours jusqu’à ce que les autorités assurent notre protection effective face à ces dérapages et agressions ».
M. Gnabli, qui représente aussi les Ivoiriens de Tunisie, est convaincu que face à l’afflux d’inscriptions à l’ambassade, Abidjan organisera des vols de rapatriement pour ramener ceux qui le souhaitent.
En attendant, il lance un appel aux autorités tunisiennes pour « assurer leur sécurité » et à la population pour « les traiter dignement » et ne pas les jeter à la rue quand ils ne peuvent pas payer leur loyer.
A 20 km au nord de Tunis, dans le quartier de Bhar Lazreg, les salons de coiffure et restaurants africains informels créés ces dernières années ont baissé les rideaux définitivement, des façades colorées ont disparu sous une peinture blanche. Aucune trace non plus de la garderie où des bénévoles s’occupaient depuis cinq ans d’une soixantaine d’enfants.
AFP