C’est la première fois depuis l’indépendance du Sénégal, en 1960, que la formation au pouvoir perd la majorité absolue et qu’elle devra s’appuyer sur d’autres forces au Parlement pour faire passer ses lois.
La coalition du président, Macky Sall, passe de 125 députés en 2017 à 82, sur les 165 que compte l’Assemblée, selon les résultats officiels provisoires de la commission nationale de recensement des votes (CNRV) publiés jeudi.
Dynamique impulsée par les élections locales de janvier
L’opposition confirme la dynamique impulsée par les élections locales de janvier, en particulier dans certaines grandes villes, et gagne 80 sièges de députés au total : 56 pour la coalition Yewwi Askan Wi (« libérer le peuple » en wolof) et 24 pour celle de Wallu Sénégal (« sauver le Sénégal » en wolof), qui ont formé une alliance pour les législatives. Trois autres députés sont issus des rangs de trois petites coalitions de partis.
Les chiffres définitifs doivent être publiés par le Conseil constitutionnel dans un délai de cinq jours s’il n’y a pas de recours. Ces résultats pourraient convaincre le président de la République, désavoué par les urnes, de renoncer au projet qui lui est prêté de se représenter à l’élection présidentielle de 2024, disent experts et observateurs.
Macky Sall, élu en 2012 pour sept ans et réélu en 2019 pour cinq ans, maintient le flou sur ses intentions. Il a promis qu’il nommerait un premier ministre – poste qu’il avait supprimé en 2019 puis rétabli en décembre 2021 – issu de la formation victorieuse des élections.
Accusations de « bourrage d’urnes » et de « fraudes massives »
Après le scrutin, les chiffres remontant des commissions départementales de recensement des votes ont fait état d’une élection très serrée et les deux camps ont revendiqué la victoire.
Yewwi Askan Wi, principale coalition de l’opposition formée autour d’Ousmane Sonko, arrivé troisième de la présidentielle de 2019, s’est alliée pour les élections à la coalition Wallu Sénégal, dirigée par l’ex-président Abdoulaye Wade, élu député à l’âge de 96 ans.
« Nous rejetons ces résultats », a réagi Déthié Fall, l’un des dirigeants de cette alliance après la proclamation officielle. Un peu plus tôt dans la journée, il avait saisi la commission électorale pour lui demander « le droit de vérifier les procès-verbaux [de bureaux de vote] en vue de faire ses observations et réclamations éventuelles dans les délais légaux », ce qui lui avait été refusé, selon ses dires. « La coalition Yewwi Askan Wi n’a pas signé le procès-verbal de la CNRV parce qu’on ne peut accepter ce refus », a-t-il déclaré, ajoutant que si elle avait eu accès à tous les documents « on allait encore voir des irrégularités qui allaient affecter leur suffrage et nous permettre de récupérer les deux députés qu’ils nous ont pris indûment ».
Aïda Mbodj, une autre dirigeante de l’opposition, avait parlé la veille de « bourrage d’urnes » et de « procès-verbaux préfabriqués et sans signature qu’ils [le pouvoir] ont créés eux-mêmes » dans des localités du nord du Sénégal dont Matam, Podor, Ranérou et Kanel, des fiefs du président Macky Sall.
« Nous n’allons pas accepter une confiscation de la victoire. C’est une entreprise de fraudes massives orchestrées par des hommes politiques avec certainement la complicité de l’administration » territoriale, a renchéri Ousmane Sonko.
Le président, Macky Sall s’est pour sa part félicité du bon déroulement des élections « dans le calme, la sérénité et la transparence, sur l’étendue du territoire national », à l’issue du conseil des ministres, mercredi.
Violentes manifestations pendant la précampagne
Le vote s’est déroulé dimanche sans incident majeur, avec un taux de participation de 46,64 % selon la CNRV. Les observateurs internationaux de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest et le Collectif des organisations de la société civile pour les élections ont noté le caractère paisible et transparent du scrutin.
La précampagne avait été marquée par de violentes manifestations qui avaient fait au moins trois morts en raison de l’invalidation, par le Conseil constitutionnel, des titulaires de la liste nationale de la coalition dirigée par Ousmane Sonko, contraints de renoncer à participer aux élections.
« La coalition au pouvoir est à bout de souffle. La cherté des denrées, le renchérissement du prix de l’eau, les pratiques autoritaires autour des manifestations suivies de morts » expliquent ce vote sanction contre le président, a estimé l’analyste politique Maurice Soudieck Dione à l’Agence France-Presse.
« La question du troisième mandat a été réglée définitivement par le peuple sénégalais le jour des élections. Avec ce Parlement, Macky Sall n’a plus la possibilité de modifier la Constitution, qui n’autorise à renouveler le mandat du président qu’une seule fois », a également rappelé le constitutionnaliste Ngouda Mboup.
Avec AFP