La série documentaire « Chambre 2806 : l’affaire DSK », diffusée sur Netflix lundi, revient sur le scandale de la suite du Sofitel et les accusations de viol formulées par l’ancienne femme de chambre Nafissatou Diallo. Au-delà d’une reconstitution minutieuse, les quatre épisodes montrent à quel point, depuis, le monde a changé.
Personne n’a oublié les images qui ont envahi les chaînes de télévision et un Twitter encore balbutiant le 14 mai 2011. Ce jour-là, Dominique Strauss-Kahn, qui caracole en tête des sondages pour la présidentielle 2012, est arrêté à New York alors qu’il s’apprête à prendre l’avion pour rentrer en France. Le socialiste est accusé par Nafissatou Diallo, femme de chambre de l’hôtel Sofitel dans lequel il séjournait, de l’avoir violée. Près de dix ans plus tard, dans Chambre 2806 : l’affaire DSK, une série en quatre épisodes diffusée sur Netflix, l’acteur et réalisateur Jalil Lespert, qui s’attaque là pour la première fois au genre documentaire, propose un réexamen minutieux des faits.
Témoignages inédits
Deux ans et demi ont été nécessaires pour faire ce long travail d’enquête, de repérage et de tournage. Ce qui frappe d’abord, c’est la richesse des témoignages : 24 au total, dont ceux de deux enquêteurs américains, l’un rattaché à l’époque à la police new-yorkaise et l’autre au bureau du procureur, qui n’avaient jamais pris la parole publiquement. Si elle ne contient aucune révélation fracassante, sa seule conclusion étant de battre en brèche la théorie d’un complot contre DSK, la série a le mérite de proposer un examen minutieux des faits et des éléments à charge comme à décharge.
Un équilibre recherché par Jalil Lespert. « C’est le genre d’affaire où tout le monde a un avis, a vu, a entendu quelqu’un dire quelque chose, dans une sorte de mêlée générale qui empêche l’objectivité. Dès le départ, on voulait être le plus objectif possible. Clarifier des faits », confie le réalisateur à Europe 1. « Il y avait aussi l’ambition de donner à une audience très large, celle de Netflix, la possibilité de se faire sa propre idée et de clore toute cette histoire. »
Nafissatou Diallo revient sur ses incohérences
Le témoignage le plus attendu et le plus fort reste bien sûr celui de Nafissatou Diallo. « Il était comme un singe, comme un animal. J’avais si peur », souffle l’ancienne femme de chambre, qui se tient habituellement loin des médias et n’a accepté de répondre qu’à la dernière minute. « Il m’a attrapée… j’ai essayé de le repousser, de m’enfuir… » Souvent, elle s’interrompt, se tordant les mains, avant de reprendre le fil tortueux de son histoire.
Si elle donne de nouveau en détail sa version de ce qui s’est passé exactement ce 14 mai 2011 dans la suite 2806, Nafissatou Diallo est également interrogée sur les incohérences de son récit qui ont poussé le procureur à abandonner les poursuites, estimant que sa seule témoin n’était pas suffisamment fiable. « J’ai le sentiment que dans cette affaire, on n’a parlé que de moi », regrette-t-elle. « Rien sur lui. J’avais l’impression d’être une criminelle qui avait attaqué quelqu’un. » Et l’un de ses avocats de confirmer que jamais DSK n’a eu à confronter sa version des faits à celle de sa victime présumée.
En dix ans, les discours et les regards ont changé
C’est peut-être là que se niche le principal intérêt de Chambre 2806. En alternant images d’archives et interviews, la série documentaire ne se contente pas de tout remettre à plat, elle permet un coup d’œil édifiant dans le rétroviseur. D’autant plus qu’elle s’attarde, également, sur les accusations d’abus de pouvoir pour entretenir une liaison avec une employée du FMI et sur l’affaire du Carlton de Lille, dans laquelle DSK a été poursuivi pour proxénétisme aggravé avant d’être blanchi.
En dix ans, les discours et les regards ont changé. Les réactions notamment au sein du Parti socialiste, avec un Jean-Christophe Cambadélis sur le perron du siège de la rue de Solférino qui « ne peut pas croire » à la culpabilité de DSK et se dit persuadé qu’il sera « bientôt parmi nous », semblent ressurgir d’un autre siècle. Les micro-trottoirs qui alimentent les journaux télévisés de la fin mai 2011 sont remplis d’hommes et de femmes qui sont persuadés que tout n’est qu’un coup monté, comme si l’hypothèse des violences sexuelles n’était même pas envisageable.
« L’une des étincelles qui ont allumé le mouvement #MeToo »
L’ancien ministre de la Culture Jack Lang, l’un des rares socialistes qui a accepté de répondre à Jalil Lespert, apparaît comme la relique de cet ancien monde, estimant que DSK « est un peu plus porté vers les choses de l’amour », et que l’amour « n’est pas un complot du diable ». « Evidemment, certaines archives nous ont frappé », confirme le réalisateur. « Aujourd’hui, il y a des choses qu’on ne laisserait plus passer. Et Jack Lang est un peu le témoin d’une ancienne génération. »
En cela, Chambre 2806 est un formidable outil de mesure de l’évolution des mentalités. « Cela dit beaucoup de choses sur la morale en politique, le comportement de la police et de la justice avec les plus vulnérables et sur l’évolution des rapports hommes-femmes depuis vingt ans », confirme le producteur de la série, Philippe Levasseur. « Plusieurs témoins nous ont dit que cette affaire DSK est l’une des étincelles qui ont allumé le mouvement #MeToo. C’est le début de la libération de la parole des femmes. »
Si la même affaire se produisait aujourd’hui, l’abandon des poursuites serait plus qu’improbable
Il est d’ailleurs impressionnant de réentendre l’écrivaine Tristane Banon, qui a accusé DSK de tentative de viol, et de mesurer à quel point elle n’a jamais été prise au sérieux. « Sans doute avec un peu de prétention, je pense qu’il n’y aurait pas eu #MeToo sans Banon et Diallo », estime-t-elle d’ailleurs devant la caméra de Jalil Lespert. « Cela donne un peu de sens à tout ce que j’ai fait. Cela me permet de me dire que tout cela n’a pas été vain. »
L’un des avocats de Nafissatou Diallo le dit aussi dans la série : si la même affaire se produisait aujourd’hui, l’abandon des poursuites serait plus qu’improbable. « Si on prend du recul, l’histoire montre qu’un jury l’aurait crue aujourd’hui. Maintenant, on sait comment les victimes [de violences sexuelles] racontent ce qui leur est arrivé, qu’elles ne sont pas toujours les victimes parfaites. Les gens leur accordent plus volontiers le bénéfice du doute. »
Assez cruellement, la série s’achève sur la nouvelle vie de DSK, remarié et toujours grassement payé pour conseiller de grandes entreprises et des chefs d’État étranger. L’ancien candidat à la présidentielle a semblé vouloir couper l’herbe sous le pied de Netflix en déclarant, vendredi, qu’il allait s’exprimer dans un film documentaire en cours de production à paraître à l’automne 2021. Il estime n’avoir jamais donné sa version des faits. Avant cette annonce, Philippe Levasseur et Jalil Lespert soulignaient auprès d’Europe 1 que son absence dans la série n’était pas handicapante. « Il a eu accès aux médias, a eu l’occasion de donner son point de vue, et nous a confirmé pendant la préparation de la série que celui-ci n’avait pas changé », indique le producteur.
Source : Europe1