Deux migrants Guinéens et un Ivoirien, accusés d’avoir détourné un pétrolier en mars 2019, seront jugés pour « actes de terrorisme », a décidé le procureur général de Malte mercredi dernier. Ils risquent la prison à perpétuité. Leurs avocats se disent scandalisés.
Nouveau rebondissement dans l’affaire El Hiblu. Le procureur général de Malte a choisi mercredi 29 novembre d’inculper trois jeunes migrants – englués dans une tourmente judiciaire depuis mars 2019 – pour terrorisme. Originaires de Guinée et de Côte d’Ivoire, les trois hommes sont accusés d’avoir détourné le pétrolier El Hiblu qui les avait secourus en mer en mars 2019 après leur fuite de Libye. Ils risquent désormais la prison à vie. Une date de procès se fait toujours attendre.
L’un d’entre eux est actuellement porté disparu depuis l’été. S’il est arrêté, il sera ramené à Malte pour y être jugé aux côtés des deux autres.
Cette annonce de la justice relance une affaire qui était restée en sommeil pendant plus d’un an. Bien que l’acte d’accusation n’ait pas été rendu public, il semblerait que les procureurs aient choisi de porter neuf accusations distinctes contre ces exilés dont une les accusant d’actes de terrorisme.
« Transformer la loi en arme contre les demandeurs d’asile »
« C’est terrible et honteux », a réagi Maurice Stierl, membre du collectif « Libérez El Hiblu 3 » (surnom donné à ces trois jeunes) contacté par InfoMigrants. « Ces accusations de terrorisme sont ridicules. Les autorités maltaises doivent mettre un terme à ce procès indigne et abandonner définitivement toutes les charges retenues contre eux ».
Les avocats des jeunes demandent depuis le début de cette histoire de classer l’affaire, affirmant qu’aucun crime n’avait été commis sur le sol maltais. La défense estime même que l’accusation de « terrorisme » est incompréhensible. « Une telle interprétation transforme la loi en arme contre les demandeurs d’asile », a déclaré un des avocats.
Dans un communiqué publié jeudi matin, les signataires de la campagne « Libérez El Hiblu 3 » ne décolèrent pas. « Nous sommes ébahis que le procureur général ait ignoré les témoignages entendus lors de la compilation des preuves au cours des quatre dernières années et demie, qui démontrent l’innocence incontestable des 3 d’El Hiblu ».
La saga El Hiblu
Pourquoi un tel clivage ? Récapitulons. Les faits remontent à plus de 4 ans. Le 28 mars 2019, un pétrolier, le El Hiblu, secourt 108 migrants, – dont 19 femmes et 12 enfants – qui dérivent en mer Méditerranée. Ordre est donné de les ramener en Libye. Selon l’accusation, les trois jeunes inculpés, parlant un peu l’anglais, auraient alors obligé le capitaine du bateau à faire demi-tour pour rejoindre Malte.
C’est là que les versions divergent. Les trois garçons, qui ont alors 15, 16 et 19 ans, affirment au contraire s’être posés comme intermédiaires entre l’équipage et le reste du groupe d’exilés, essentiellement francophones, paniqués à l’idée d’être ramenés dans l’enfer libyen.
L’ONG Amnesty International, qui a pris fait et cause pour les trois migrants, affirme même que le capitaine du pétrolier « comptait » sur les trois jeunes pour traduire les informations aux autres survivants et maintenir le calme. « La panique s’était installée. Des gens menaçaient de se jeter à l’eau – ils étaient prêts à mourir plutôt que retourner en Libye et y subir d’autres horribles violations », rappelle l’ONG.
Finalement, le navire fait demi-tour et rejoint Malte.
Intransigeance maltaise
Les militaires de la petite île européenne, informés de l’arrivée imminente du pétrolier qui aurait dû se rendre en Libye, montent à bord. Ils estiment à ce moment-là que les trois adolescents ont pris le contrôle du bateau. Ils les arrêtent pour détournement, terrorisme et prise du navire par la force.
Les trois accusés ont été emprisonnés pendant près de huit mois avant d’être libérés sous caution en novembre 2019.
Depuis, deux clans s’affrontent. Malgré les appels à la clémence des ONG et de la société civile dans cette affaire, Malte se montre intransigeante. Depuis des années, l’île s’illustre sur la scène européenne par sa position anti-migrante. Notamment en mer Méditerranée. On ne compte plus les « appels » restés sans réponses des navires humanitaires aux autorités maltaises. Depuis des années, la petite île européenne reste fermée aux débarquements des migrants secourus en mer Méditerranée. Jamais ou presque, elle n’a autorisé les ONG à entrer dans ses ports. Jamais ou presque non plus, elle n’est venue prêter main forte aux embarcations en détresse dans ses eaux territoriales.
Avec Infomigrants