Depuis l’évocation de ce projet par le Premier ministre Burkinabè à Bamako le 2 février dernier, aucune autorité du Mali et du Burkina Faso n’a voulu s’étendre sur le sujet. BBC Afrique analyse la probable issue de cette actualité.
« Nous ne sommes pas sûr de réussir, mais nous envisageons une fédération entre nos deux pays » s’exprimait ainsi le Premier ministre burkinabè Appolinaire Joachim Kielem de Tambela, aux côtés de son homologue malien Choguel Kokalla Maiga à Bamako, lors d’une visite officielle à Bamako le 2 février dernier. Sollicitées, les autorités des deux pays n’ont pas voulu revenir sur ce sujet.
Plusieurs experts ne semblent pas accorder du crédit à cette déclaration du chef du gouvernement de la transition burkinabè. Paul Oumarou Koalaga, le directeur exécutif de l’institut de stratégie et de relations Internationales, met cette déclaration dans le cadre d’une communication politique « visant à mettre la pression sur la CEDEAO, afin de la contraindre à lever les sanctions qui pèse sur ces pays ».
Le mali et le Burkina deux pays dirigés par des militaires étant en délicatesse avec l’institution sous régionale, après les doubles coups d’Etats survenus dans ces pays.
Processus long, voire impossible
Au cas où les deux pays voudraient créer une fédération, il faudra passer par un long processus, qui aboutira à la modification des constitutions des deux Etats. Pour y arriver, il faudra d’abord mettre sur pied une commission d’experts, pour pouvoir travailler sur les questions techniques explique le constitutionnaliste Wilfried Zoundi, avant d’organiser des referendums dans les deux pays. Un processus qui, s’il est concluant, mettra fin à la souveraineté des deux Etats, et créera une capitale, une monnaie et un gouvernement unique aux deux Etats fédérés.
Or, souligne Wilfried Zoundi, une grande partie des deux territoires échappe à l’autorité de l’Etat, en raison des violences djihadistes. Dans un tel contexte, il sera difficile d’organiser un referendum, poursuit-il.
Peut-on passer par les parlements de transition pour contourner cet obstacle ? Le constitutionnaliste burkinabè répond par la négative, évoquant l’article 165 de la constitution du Burkina qui empêche la convocation du parlement pour la révision de la constitution, dans le but de remettre en cause la nature et la forme de l’Etat.
Pour rajouter à cette longue liste de difficultés pouvant entraver le processus de fédération, il y a la question du mandat des autorités de transition. Au Mali, les autorités doivent passer la main à un gouvernement civil en février 2024, alors que les militaires au pouvoir au Burkina Faso eux ont jusqu’au mois de juillet 2024 pour passer le témoin. « Il sera donc difficile de mettre en œuvre cette procédure dans ces délais, sauf si les autorités optent pour un passage en force ; un chemin qui a aussi ses risques », conclut Wilfried Zoundi.
Des voix s’élèvent déjà au Burkina Faso pour dénoncer ce « glissement » des autorités de la transition. C’est le cas du célèbre avocat et ancien diplomate burkinabè Frédéric Pacéré Titinga, sur la télévision nationale, le 16 février dernier. Selon lui, « l’initiative est inopportune, vu le contexte sécuritaire du pays ».
« Fédération souple » avec l’arrivée de la Guinée
Tout porte à croire que, selon le correspondant de BBC Afrique au Burkina, qu’il pourrait ne pas s’agir d’une fédération à proprement parler, mais plutôt d’une mutualisation des forces entre, non pas de deux pays, mais trois. Puisque la Guinée s’est invitée dans la danse le 9 février, lors d’une réunion tripartite tenue à Ouagadougou, à « l’initiative du Burkina Faso » selon le ministre guinéen des affaires étrangères Mourissanda Kouyaté qui a rejoint ses homologues Olivia Ragnaghnèwendé ROUAMBA du Burkina, et Abdoulaye Diop du Mali.
À son arrivée à Ouagadougou, le chef de la diplomatie guinéenne a laissé entendre devant la presse qu’ils entendaient faire une déclaration vers les organisations régionales et sous régionale (UA et CEDEAO) pour qu’on puisse entendre les réclamations des peuples ». Allusion faite à une demande de levée des suspensions des instances de ces organisations.
À en croire le communiqué qui a sanctionné leur rencontre, les trois pays se sont « engagés à répondre aux aspirations des populations de leurs pays respectifs et à faire de l’axe Bamako – Conakry – Ouagadougou, un domaine stratégique et prioritaire pour le développement du commerce, des transports, de l’approvisionnement en produits de première nécessité, de la formation professionnelle, du développement rural, de l’exploitation minière, de la culture et des arts, ainsi que de la lutte contre l’insécurité ».
Une dynamisation de la coopération dans l’axe triangulaire Bamako- Ouagadougou- Conakry, qui se fera notamment par le biais de la « facilitation de la fourniture en hydrocarbures et en énergie électrique entre les trois pays; le développement du commerce et des transports depuis le port de Conakry jusqu’au Burkina Faso, en passant par le Mali, l’organisation de l’exploitation minière entre les trois pays la mobilisation des ressources nécessaires en vue de réaliser le projet de construction du chemin de fer Conakry- Bamako- Ouagadougou ; la réhabilitation et la construction des routes internationales entre les trois pays, devant servir de leviers de croissance économique et faciliter la libre circulation des populations et de leurs biens », souligne entre autres le communiqué.
Pression sur la CEDEAO et probable redistribution des cartes
Pour comprendre ce projet de redynamisation de la coopération de ces trois pays, il faut comprendre le contexte général. Le Mali et le Burkina qui sont suspendus par la CEDEAO n’ont pas accès à la mer, et comptent sur leurs voisins pour des exportations. Le Burkina n’a véritablement pas de difficultés à importer, puisque les sanctions de l’institution sous régionale ne touchent pas le domaine économique. Mais le pays compterait plus sur le port de Conakry pour l’importation des hydrocarbures estime notre correspondant à Ouagadougou. Le communiqué du 9 février dernier, signé par les trois ministres y fait référence.
Côté malien, la situation est tout autre. Le pays importe 70 % de sa consommation vivrière, selon l’ONG belge CNCD-11.11.11. La dynamisation de l’axe Bamako-Conakry lui permettra de contourner la suspension de la CEDEAO, et de compter sur le port de Conakry pour la plupart de ses importations.
Mais Lucien Romaric Badoussi, spécialiste de la CEDEAO, et enseignant à l’université de Parakou dans le nord du Benin craint qu’il y ait désormais une « coopération à double vitesse » au sein de l’institution sous régionale, au cas où le projet est mené à terme. Une initiative qui pourrait aussi perturber l’intégration, puisque la Guinée pourrait leur accorder des taux préférentiels sur leurs importations. Ce qui pourrait par exemple estime-t-il, aboutir à la sortie de ces trois pays du pacte de la CEDEAO, à l’exemple de la Mauritanie autre fois membre, mais qui a décidé de se retirer.
Dans tous les cas conclut l’expert Béninois, « il sera difficile pour ces trois pays d’arriver à leurs fins, tant les contextes politiques internes à ces trois Etats sont défavorables, et les délais de transition courts ».
Le Mali, le Burkina et la Guinée sont suspendus par la CEDEAO et l’Union Africaine après les coups d’Etat intervenus en 2020, 2021 et 2022.
Par BBC