Les chefs d’État de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) se retrouvent en sommet ordinaire, ce dimanche 12 décembre, à Abuja, capitale fédérale du Nigeria. Les dirigeants vont se pencher sur plusieurs questions : le terrorisme et l’extrémisme violent dans la sous-région, la mise en place de la monnaie commune, et sur deux crises politiques au Mali et en Guinée, qui ont connu des coups d’État ces derniers mois. Avec donc une question en tête : à quand le retour au pouvoir pour les civils dans ces deux pays ?
Premier dossier abordé sera le Mali avec une impasse : l’incapacité des autorités à tenir leur engagement pour organiser une élection présidentielle le 27 février 2022. Pour les dirigeants de la Cédéao, les signaux envoyés par la junte sont pour le moment mauvais. Le report des assises de la réconciliation, jusque-là posées comme une étape avant le scrutin présidentiel, en est un exemple. Le mois dernier, la Cédéao avait déjà imposé des sanctions ciblées contre une centaine de personnalités (gel des avoirs et interdiction de voyager…).
Selon Jean Hervé Jézequel, le directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group, la Cédéao pourrait encore aller plus loin. « Ce qui est en jeu aujourd’hui, explique-t-il, ce sont des sanctions plus dures. Il serait tout à fait envisageable pour la Cédéao de recourir par exemple à la fermeture des frontières. La Cédéao espère surtout que les autorités maliennes vont découpler la tenue des assises nationales de la réconciliation du processus électoral. C’est l’objectif du bras de fer diplomatique qui se joue actuellement entre les États de la Cédéao et les autorités maliennes. »
Le cas de la Guinée
En Guinée, les nouvelles autorités n’ont elles aussi toujours pas annoncé de chronogramme sur la durée de la transition. Le colonel Mamadi Doumbouya et son entourage sont déjà frappés par des interdictions de voyager. La Cédéao pourrait étendre ces sanctions à l’ensemble de l’équipe gouvernementale.
Toutefois les autorités civiles et militaires tentent de répondre aux attentes de la Cédéao. Avec d’abord, le transfert d’Alpha Condé au domicile de son épouse. Même s’il est en résidence surveillée, cela tend à décrisper le climat. Par ailleurs, un gouvernement a été formé. Et, on devrait connaître sous peu les noms des 81 personnes qui siègeront dans le Conseil national de transition. Reste par contre, une interrogation, la durée de cette transition.
« Le problème de la Guinée sera celui de la fixation de la durée de la transition, observe Mathias Hounkpé, administrateur du programme gouvernance politique à la Fondation OSIWA (Initiative pour les sociétés ouvertes en Afrique de l’Ouest). De mon point de vue, poursuit ce chercheur, il y aura toujours un lien entre ce qui se passe au Mali et ce qui se passe en Guinée. Les Guinéens demanderont au moins la même durée de transition que celle que l’on aura accordée aux Maliens. Et donc, plus on donne de marge de manœuvre aux Maliens, plus les autorités guinéennes demanderont les mêmes marges de manœuvre. Maintenant, c’est le délai “raisonnable” qu’il faut fixer, qui est la vraie question. Quel Est-ce délais qu’il faut fixer pour ne pas donner le sentiment que la transition dure en longueur ? Et ce délai est en partie lié à la manière dont la Cédéao va se comporter avec le Mali », conclut M. Hounkpé.
La Cédéao face aux crises institutionnelles et politiques
Pas évident pour la Cédéao d’imposer des sanctions sans que cela n’ait d’impact sur les citoyens. Ces derniers lui reprochent régulièrement d’agir beaucoup trop tard face aux crises politiques. Pas évident non plus de changer l’image d’une Cédéao « silencieuse » face aux crises… Pour remédier à cela, la réflexion est lancée pour modifier certains protocoles qui régissent les règles d’intervention de la Cédéao, pour la rendre plus réactive.
« Un amendement permettrait d’articuler correctement les réactions par rapport aux problèmes qui se posent aux pays, de ne pas se limiter simplement aux réactions lorsqu’il y a des coups d’État ou bien des violences graves comme l’extrémisme violent, explique le chercheur Mathias Hounkpé. Mais [cela permettrait] aussi de prendre en compte par exemple, les abus de pouvoir et les questions de corruption. Je pense que la Cédéao pourrait avoir plus de moyens à travers la Commission et à travers d’autres instances dont elle dispose, pour intervenir et au moins, laisser aux citoyens le sentiment que quand ils se retrouvent en face de leaders problématiques, que la Cédéao est là pour les protéger et ne pas donner le sentiment que la Cédéao est juste un instrument pour protéger les présidents entre eux. »
En attendant le sommet des chefs d’État, prévu dimanche, le Conseil des ministres se tient ce vendredi à Abuja pour aborder ces questions.
RFI