La Guinée est en ébullition. Depuis cet automne, une intense mobilisation populaire demande le départ du président en place et un changement de régime. La situation de ce pays de 12 millions d’habitants montre une fois de plus la place centrale des peuples du continent africain dans les vagues de révolutions citoyennes dans le monde. Comme au Burkina Faso en 2014 ou au Soudan en 2018-2019, les Guinéens sont entrés en insurrection directement sur une revendication démocratique.
Le président de la Guinée, Alpha Condé, proche des réseaux PS, veut faire adopter une nouvelle Constitution pour se faire réélire au-delà de la limite aujourd’hui fixée à deux mandats. Le refus des Guinéens de cette modification constitutionnelle vient du fait qu’il comprennent parfaitement ce que cela veut dire : Alpha Condé a décidé qu’il ne perdrait jamais une élection. Et d’abord qu’il ne perdrait pas le référendum constitutionnel, qui doit se tenir le 1er mars.
Le peuple guinéen s’oppose donc à ce qu’on lui retire sa souveraineté. Il le fait d’une manière tout à fait massive et exemplaire. Les manifestations de l’automne ont réuni dans la capitale de cet État de 12 millions d’habitants, Conakry, entre 500 000 et un million de personnes. Sans compter les mobilisations dans les autres villes du pays, à Labé, Kindia ou Nzérékoré. Une alliance de type inédite s’est constituée pour porter les revendications du peuple en écartant le soupçon de récupération politique. Le Front National de la Défense de la Constitution (FNDC) réunit en son sein des collectifs citoyens, des partis d’opposition et des syndicats. C’est une forme assez proche de la plateforme Unidad Social qui porte le processus constituant déclenché par la révolution au Chili. Ce que j’ai nommé et appelé de mes voeux ici sous le nom de « fédération populaire ».
Évidemment, les revendications sociales rejoignent ici comme ailleurs dans ce cas les revendications démocratiques. Les besoins sociaux les plus essentiels ne sont pas pris en charge par l’organisation économique de la Guinée, dominée par le néolibéralisme global. En témoigne l’indice de développement humain pour lequel le pays se classe au 174ème rang sur 189 pays, évalué par l’ONU pour cet indicateur. La Guinée possède évidemment des potentiels de création de richesses importants. Mais ils tous sont exploités et capturés par des grandes entreprises étrangères avec la complicité de l’oligarchie locale. Ainsi, la plus grande mine de fer d’Afrique, qui est en Guinée, est la propriété d’un fond singapourien. Et le port de Conakry est celle d’une filiale du groupe français Bolloré. Cette attribution est entachée de fort soupçon de corruption qui marche ici comme bien souvent avec la privatisation des biens communs.
Récemment, le pays avait observé une trêve dans les manifestations. Mais cette trêve va s’achever la semaine prochaine. La décision d’Alpha Condé de coupler le référendum du 1er mars avec des élections législatives que tout le monde devine truquées a été vécue comme la provocation de trop. Des manifestations monstres sont convoquées à partir du mercredi 12 février. Le peuple guinéen peut espérer la victoire. Je lui la souhaite. Mais surtout, j’espère que le cout humain ne sera pas trop lourd à payer. Le pouvoir en place risque de provoquer un bain de sang avant de partir. J’adjure donc la diplomatie de mon pays de ne pas agir dans le sens d’un maintien en place de ce régime illégitime aux yeux de son peuple, comme il l’a déjà fait sur ce continent. La meilleure chose que mon pays peut faire pour aider les guinéens est de les laisser libre de leur destin.