Guinéenne et sans-papiers en Espagne : « J’ai arrêté de me prostituer pour aider mes sœurs à sortir de cet engrenage »

Fata (nom modifié) est une jeune guinéenne de 30 ans, sans-papiers, installée dans les environs de Barcelone. Ancienne prostituée, elle a décidé il y a un an et demi d’arrêter pour se consacrer désormais à la prévention et tenter de faire sortir d’autres femmes exploitées par des réseaux de prostitution à Barcelone et sa région. Aidant des associations locales de manière bénévole et en ayant le rêve d’être infirmière, elle vit sous la pression de certaines personnes influentes du milieu des travailleuses du sexe mais aussi dans la peur d’être expulsée du pays. Sur infomigrants elle témoigne.

Fata*, originaire de Conakry, est arrivée en Espagne en début d’année 2017, et s’installe à Barcelone à l’été de la même année. Partie de Guinée en mars 2016, elle gagne Tunis pour y travailler comme aide à domicile, mais se retrouve exploitée par un riche entrepreneur qui est très violent avec elle et la menace de la renvoyer chez elle. Elle s’enfuit et traverse la Méditerranée, arrive en Italie puis en France et enfin en Espagne, à Madrid d’abord puis Barcelone.

« Lorsque j’étais jeune adolescente, je ne voulais pas partir, mais en arrivant à l’âge adulte, on veut un avenir meilleur, on veut réaliser ses rêves et pour moi, en Guinée, ce n’était pas possible. Ma famille est pauvre. Je ne voulais pas rester dans cette situation et je voulais aider ma famille à avoir une meilleure vie. Un jour de janvier 2016, j’ai discuté avec plusieurs personnes qui m’ont parlé d’emplois en Tunisie et au Maroc pour travailler comme femme de ménage ou aide à domicile, et on m’a mise en contact avec quelqu’un qui m’a rapidement proposé un emploi à Tunis, chez un riche businessman. Ma famille et mes proches ont réussi à collecter de l’argent pour que je puisse partir, et après quelques semaines, je me suis retrouvée à Tunis, fin mars.

Mais mon arrivée en Tunisie a vite tourné au vinaigre. Mon employeur a été sympathique avec moi durant quelques jours, a pris mon passeport et après une semaine seulement, est devenu très violent. Il me menaçait de me renvoyer chez moi si je parlais ou si je ne faisais pas ce qu’il me disait. Je ne dormais plus, j’étais apeurée en permanence, je voulais partir coûte que coûte. J’ai pris sur moi durant quelques mois, j’ai économisé un peu d’argent et j’ai approché quelqu’un qui m’a dit qu’il allait m’aider à aller en Europe, et qu’on m’aiderait là-bas. J’y voyais une porte de sortie, mon unique issue, car je ne pouvais pas rentrer en Guinée vu que toute ma famille comptait sur moi pour l’aider.

« C’était la fin de notre calvaire, mais le début d’un autre »

Un soir d’octobre, je me suis enfuie de la résidence de cet homme riche. Durant quelques jours, j’ai erré dans les rues de Tunis et cinq jours après, je me suis retrouvée avec une trentaine de personnes et on a embarqué sur un vieux bateau, j’ai eu la peur de ma vie durant cette traversée. Tout le monde était effrayé, le bateau tanguait beaucoup et quelques personnes sont tombées par-dessus bord. On a vu des gens se noyer, laissés dans la mer. On entendait les cris et on ne pouvait rien faire car on était tous en état de choc. On a dû perdre 7 ou 8 personnes durant la traversée, et il pleuvait beaucoup avec un vent très puissant qui aurait pu nous faire chavirer à tout moment. Je ne sais pas comment on y est arrivés, mais on a été ensuite secourus par les garde-côtes italiens et on a été débarqués à Lampedusa. C’était la fin de notre calvaire, mais le début d’un autre.

Moins d’une semaine après, j’ai été transférée sur le continent, en Calabre, et on a été pris en charge par les autorités italiennes. Mais on ne savait pas ce qu’on allait devenir, il y avait une crainte d’être expulsé ou bien emprisonné. J’ai décidé, avec quelques personnes rencontrées depuis mon arrivée en Italie, de partir vers le Nord et d’essayer d’arriver en France. On a pris un bus une nuit et on est arrivé à Milan où on a dormi dans la rue durant plusieurs jours. On a dormi ensuite dans un appartement en travaux avec d’autres migrants africains et après quelques jours, une personne est venue nous voir et nous a proposé du travail. On a accepté immédiatement car on était payé en liquide à la fin de chaque journée et on pouvait ainsi essayer de sortir de notre galère. On faisait des ménages la journée chez des particuliers et la nuit de temps en temps dans des bars ou des discothèques après leur fermeture. C’est là que j’ai rencontré cet homme qui m’a demandé si je voulais aller en France puis en Espagne pour travailler dans le monde de la nuit. Il me disait que j’étais belle, que je gagnerais de l’argent facilement en étant dans le monde de la nuit. Mi-novembre, j’étais sur la Côte d’Azur à faire la serveuse dans des soirées privées où des personnes riches faisaient la fête dans des villas somptueuses. J’avais des étoiles plein les yeux, c’était fou.

Je pensais que cela allait m’ouvrir des portes et que cet homme allait m’aider à avoir des papiers et régulariser ma situation. La suite a été le début d’une descente aux enfers. Début 2017, il m’amène à Madrid, où je fais la même chose, puis un peu avant le début de l’été, je pars à Barcelone, où je me retrouve avec quelques autres filles dans un appartement. On nous amenait à manger, on nous donnait de l’argent, et après quelques jours, on a été invitées à une fête privée à l’extérieur de la ville. Des hommes ont voulu coucher avec nous et certaines ont refusé. Celles-ci ont été expulsées et je n’ai plus eu de nouvelles d’elles. Je n’ai pas eu d’autre choix que d’accepter, et sans le vouloir, je me retrouve à être une prostituée. C’était un choc, mais j’avais peur de cet homme, et je voulais continuer à aider ma famille au pays.

J’ai vécu cet été 2017 comme un début de cauchemar. Je devais gagner de l’argent car cet homme nous menaçait d’expulsion et je devais passer la nuit dehors et coucher avec des hommes. J’avais peur, j’ai été battue, j’ai été abusée à plusieurs reprises, mais j’ai gardé le silence car j’avais peur. Quasiment tout l’argent que je gagnais, je l’envoyais au pays pour aider ma famille qui ne savait pas ce que je faisais. Je leur disais que je faisais des ménages, que je multipliais les boulots pour gagner le plus d’argent possible pour les aider et essayer de régulariser ma situation, pour faire des études d’infirmière, mon rêve d’enfance. L’été à Barcelone, les touristes qui viennent en masse, les fêtes, c’est un cocktail explosif pour les prostituées. Ça m’a traumatisée à vie.

« Prise dans cet engrenage, dans ce cercle infernal »

J’ai été prise dans cet engrenage, dans ce cercle infernal. La prostitution, c’est pire que tout. Durant tant d’années, je me suis isolée mentalement pour ne pas devenir folle, pour ne pas me suicider. Ça m’est passé par la tête, mais je savais que si je mettais fin à mes jours, ma famille s’écroulerait dans tous les sens du terme. J’ai donc pris sur moi, j’ai été travailleuse du sexe durant quasiment 5 ans, et j’ai l’impression d’être désormais usée par la vie. Ça a été très dur, surtout durant l’été. C’est un enfer chaque jour, chaque soir, et j’ai eu tellement peur pour ma vie. Je me suis retrouvée dans des situations où je ne savais pas comment j’allais m’en sortir. Je pense que je ne me remettrais jamais vraiment de ces années, je ne serais plus jamais la même personne, mais je veux avancer. J’ai pu économiser un peu d’argent, mais ce que j’ai gagné ne compensera jamais ce que j’ai subi.

Avec plus de 15 millions de touristes durant l’été sur sa célèbre côte Est, entre Barcelone et Alicante, l’Espagne est l’une des destinations préférées pour les visiteurs venus de toute l’Europe, mais aussi d’Amérique du Nord. Selon plusieurs associations et organismes d’action sociale liées au gouvernement, le nombre de personnes exploitées par les réseaux de prostitution explose en cette période de l’année, avec un nombre d’affaires et d’arrestations en constante augmentation entre juillet et septembre (multiplié par 40 dans cette période, selon une source policière), mais les chiffres réels seraient bien supérieurs. « Entre les cas de proxénétisme, d’exploitation d’êtres humains dans l’industrie du sexe, mais aussi de violence sur ces migrants qui sont pour la plupart en situation irrégulière, on a du mal à endiguer ce phénomène », précise à InfoMigrants une source policière qui travaille sur cette situation sur la côte est du pays.

Un jour, à l’automne 2022, j’ai été voir une association locale d’aide aux migrants et j’ai raconté mon histoire à un bénévole. Je ne pouvais plus continuer comme cela, j’étais à bout, épuisée, brisée. Cette personne m’a tendu la main, et rapidement, j’ai reçu de l’aide, une place dans un centre social pour me loger, et j’ai dit à mon proxénète que j’arrêtais tout. Il m’a demandé de le payer, et de disparaître. Je lui ai laissé les trois derniers mois de mes « salaires » pour retrouver ma liberté. Mais cela n’a pas été sans conséquence, c’est le moins que l’on puisse dire. J’ai pris quelques semaines pour me reposer, mais j’avais toujours peur car je ne savais pas ce que j’allais faire après cette expérience destructrice et surtout, je suis en situation irrégulière en Espagne. J’ai donc proposé à des associations qui travaillent sur Barcelone mais aussi sur toute la côte est de l’Espagne, de les aider à faire de la prévention, d’aider les femmes migrantes exploitées, dans la prostitution. J’ai arrêté de me prostituer pour désormais aider mes sœurs à sortir de cet engrenage.

Je suis aidée par plusieurs personnes pour pouvoir joindre les deux bouts et survivre, et une procédure est en cours pour essayer de régulariser ma situation. Je suis dans l’attente, dans la peur, car je peux être renvoyée à tout moment, mais je dois tout faire pour rester car je ne veux pas rentrer au pays. Avec ces quelques associations, on tourne dans les points les plus actifs de Barcelone, mais aussi d’autres villes comme Valence, ou Alicante, voir Benidorm qui sont hyper touristiques, et je vais tenter de parler, de prendre des contacts avec des femmes qui se prostituent. C’est souvent difficile car elles ont peur, mais certaines personnes sentent que je suis quelqu’un de confiance, et cela m’aide beaucoup. J’ai pu convaincre plusieurs personnes d’arrêter de faire cela, c’est une petite victoire à chaque fois mais le chantier est immense. On reçoit des menaces, des coups de pressions de certaines personnes qui profitent du crime, et à plusieurs reprises à m’a déconseillé de faire ce que je fais, mais je n’abandonnerai pas. »

Lire l’article originale ici sur infomigrants

*Son prénom a été changé. 

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