Depuis la réélection controversée d’Alpha Condé, 82 ans, la Guinée s’enlise dans une crise politique majeure. On déplore une répression policière de grande ampleur, l’emprisonnement de centaines d’opposants au régime, dont certains meurent en détention. Washington et Bruxelles ont publié des communiqués déplorant ces décès, mais semblent tarder à mesurer la gravité de la situation. Ces derniers jours, la France quant à elle multiplie les pressions sur le régime au pouvoir : par la voix du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, elle vient d’appeller Alpha Condé à faire toute la lumière sur le sort des opposants.
En Guinée, il ne fait pas bon être un opposant politique. Le pays déplore ses morts, victimes de ce qui ressemble fort à une violence d’Etat. Depuis la mi-décembre, on dénombre au total près de 400 opposants politiques qui croupissent en prison. Certains y meurent, comme Roger Bamba, décédé en détention il y a un mois, ou encore Mamadou Oury Barry, 21 ans, qui était emprisonné à Conakry depuis le 5 août, décédé le 16 janvier dernier.
Une centaine de morts en détention depuis 2015
Pour le ministère de la Justice, Mamadou Oury Barry, qui était membre du parti UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée) de Cellou Dalein Diallo – la principale figure de l’opposition – serait mort de « mort naturelle liée à une occlusion intestinale et à une anémie bioclinique ». Pour la mère du défunt, le jeune militant est décédé par manque de soins. Selon Fabien Offner d’Amnesty International, « c’était un jeune qui, comme beaucoup dans les quartiers contestataires, a été arrêté en marge de manifestations parfois violentes en réaction au processus qui a conduit Alpha Condé à se maintenir au pouvoir et aux nombreuses violations graves » des droits humains. Ces décès « n’ont évidemment rien de naturel et résultent de violations graves des principes fondamentaux de l’ONU relatifs au traitement des détenus ». Une centaine de personnes seraient déjà mortes en détention en Guinée entre 2015 et octobre 2019.
Depuis des mois, les associations de défense des droits humains tirent pourtant la sonnette d’alarme pour interpeller la communauté internationale sur la situation du pays. Entre octobre 2019 et juillet 2020, ce ne sont pas moins de 50 personnes qui ont été tuées d’après un rapport d’Amnesty International (« Marcher et mourir : urgence de justice pour les victimes de la répression des manifestations en Guinée »). De son côté, Human Rights Watch déplorait 12 morts à la suite de l’élection présidentielle d’octobre, ainsi que l’arrestation de centaines d’opposants, l’assignation à résidence de Cellou Dalein Diallo, et la suspension des réseaux Internet pendant le scrutin présidentiel.
Alpha Condé : président à vie ?
Le climat politique a commencé à se dégrader fortement lorsqu’Alpha Condé a exprimé son intention de modifier la Constitution guinéenne afin de pouvoir briguer un troisième mandat présidentiel. Un vaste mouvement populaire s’est mis en branle à travers le pays et a entrainé la constitution du Front national de la défense de la Constitution (FNDC) dès le mois d’octobre 2019. Ce qui n’a pas empêché la tenue d’un référendum en mars 2020, jugé dysfonctionnel et irrégulier par l’opposition. Ce coup d’Etat constitutionnel a fortement divisé le pays et entrainé des affrontements inter-communautaires meurtriers. On aurait découvert des charniers humains du côté de Nzérékoré (sud) au printemps dernier. Le vote a permis l’adoption, contre le souhait d’une majorité de Guinéens, d’une nouvelle Constitution, permettant à Alpha Condé de se maintenir au pouvoir et d’être réélu en octobre 2020. L’opposition dénonce le virage autoritaire du président et Kiné-Fatim Diop d’Amnesty international parle d’une « culture de la répression politique ».
Guinéens : que fait la communauté internationale ?
La communauté internationale hausse, timidement, le ton, sans pour autant intervenir dans les affaires du pays. L’Union européenne juge que les détenus morts en prison « mettent en évidence les dysfonctionnements du système pénitentiaire et de l’appareil judiciaire guinéen ». « Les conditions de vie sont précaires, ainsi que l’alimentation des détenus, les soins médicaux. (…) Ces conditions sont sans doute à l’origine du nombre de décès des opposants. Donc l’UE appelle les autorités guinéennes à remédier à cette situation afin que la justice puisse pleinement s’exercer sur la base d’enquêtes indépendantes. »
Pour les Etats-Unis, « les actions du gouvernement et la mort de deux membres de l’opposition pendant leur détention remettent en question l’engagement de la Guinée en faveur de l’État de droit ». Pendant ce temps-là, l’opposition rassemble ses troupes et fait appel à des experts, tels que les avocats au barreau de Paris Patrick Klugman et Ivan Terel pour assister le collectif d’avocats en charge de défendre les prisonniers politiques.
Le gouvernement français prend peu à peu la mesure du problème : en novembre dernier, Emmanuel Macron reprochait au président guinéen, dans un entretien avec Jeune Afrique, d’avoir « organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir ». Hier, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian interpellait dans l’hémicycle Alpha Condé et lui demandait de « faire toute la lumière » sur les opposants en prison, envisageant même de prendre des mesures, au niveau européen, dans le cas contraire. « Nous condamnons la poursuite des détentions hors procédure judiciaire d’opposants ». Une prise de position faisant suite à la question au gouvernement, la veille à l’Assemblée, du député lyonnais Thomas Rudigoz, déplorant la détention arbitraire d’opposants.
L’étau se resserre autour d’un président qui incarnait autrefois l’espoir d’un renouveau politique. Alpha Condé apparaît aujourd’hui comme un chef d’Etat vieillissant, aux mains entachées de sang, et qui va devoir rendre des comptes.