J’ai lu attentivement le discours solennel d’Alpha Condé prononcé ce mercredi 4 septembre au palais présidentiel de Boulbinet. Il a fait preuve d’un inquiétant déni de la réalité en affirmant que notre pays avance, qu’il est sur la bonne voie et que tous les observateurs l’attestent, notamment le FMI, la BM, la BAD, le BID et l’AFD. Selon lui, tous les clignotants sont au vert dans tous les secteurs.
Passons sur son combat constant depuis des décennies pour la démocratie et l’Etat de droit en Guinée et en Afrique. Il est convaincu que tout va bien dans le pays et que les Guinéens vivent enfin mieux et jouissent de tous leurs droits fondamentaux après des décennies d’autoritarisme et de pauvreté.
Pour tous ceux qui en doutaient, il est désormais clair qu’il veut ardemment briquer un troisième mandat présidentiel. C’est officiel, il charge son premier ministre pour mener des consultations pour la forme afin de donner un vernis au coup de force constitutionnel qu’il nous prépare.
Pour ma part, je réaffirme, qu’il est disqualifié moralement et politiquement pour proposer une nouvelle Constitution au pays dans le but inavoué de lui donner la possibilité de briguer un troisième mandat.
Comme le dit si bien le proverbe “C’est au pied du mur qu’on voit le maçon “, les Guinéens l’ont vu à l’œuvre, ils savent à quoi s’en tenir. Qui peut les convaincre qu’ils baignent dans la prospérité alors qu’ils parviennent à peine à survivre dans la précarité? Pourquoi, va-t-on débattre sur la Constitution, qu’il n’a jamais respectée? Après avoir déséquilibré l’ordre institutionnel, il ne lui reste plus qu’à s’engager sincèrement à faire respecter par la CENI les deux lois organiques qui régissent ses activités électorales, car elle les viole systématiquement à toutes les élections. Il sait bien que les législatives ne sont plus possibles d’ici la fin d’année et que l’actuel fichier électoral n’est nullement fiable, mais il veut certainement bâcler le processus électoral pour s’offrir de force une écrasante majorité au parlement. Il fait le choix de l’affrontement. A mon avis, la seule alternative qui nous reste, c’est de coupler les élections législatives et présidentielle en juin 2020 (c’est le mois de juin qui a été retenu pour la première élection présidentielle en 2010, il devient donc la référence constitutionnelle pour toutes les élections présidentielles) afin de revenir à la normalité.
Nous devons nous atteler à créer les meilleures conditions pour l’organisation d’élections libres, transparentes et crédibles. Il nous reste moins d’un an pour le faire. L’année 2020 doit être pour nous un nouveau départ. Il faut garder la cohérence institutionnelle qui veut que tous les mandats électoraux étant de cinq ans, qu’ils doivent s’exercer tous sur la même période, donc les élections présidentielles, législatives et locales doivent être organisées en 2020. Nous ne devons pas reprendre le cycle de désordre institutionnel de la décennie Alpha Condé. 2020 sera la fin de la longue transition qu’il nous a imposé, nous allons repartir sur un bon pied en respectant l’esprit et la lettre de la Constitution, ce qui veut dire, dans une période maximum de trois mois, organiser toutes les élections présidentielle, législatives et locales.
Les partis politiques de l’opposition et l’ensemble des organisations de la société civile doivent opposer une fin de non recevoir à ce dialogue proposé par Alpha Condé dans le seul objectif , je le répète encore, de légitimer son coup de force constitutionnel. Un président sortant au terme de son deuxième et dernier mandat n’a plus l’autorité politique pour engager des consultations sur la Constitution. Nous sommes rentrés en plein dans l’année électorale, nos préoccupations sont ailleurs. C’est fini, il est grand temps pour lui de commencer à ranger ses affaires, d’ailleurs nos partenaires ne s’y trompent pas, tous n’attendent que le prochain président pour parler affaires.
Nous devons dire clairement à Alpha Condé que l’heure n’est plus à se mettre dans la posture du président au-dessus de la mêlée qui attend tranquillement le résultat des consultations pour trancher souverainement. Non, rien de tel, les Guinéens ont une Constitution en vigueur sur laquelle il a prêté serment à deux reprises, il lui à lui, pas à nous, de se prononcer sans ambiguïté, qu’il respectera sa parole, donc qu’il quittera le pouvoir comme prévu en 2020. Voilà, ça c’est pas compliqué de faire comme Mouhammadou Issoufou, de suivre l’exemple de Yayi Boni et de Mohammed Ould Abdel Aziz. Nous nous n’avons pas de temps à perdre dans des consultations inutiles pour violer notre Constitution.
Nous ne devons pas non plus suivre comme des moutons de Panurge la CENI qui nous dirige encore tout droit vers une mascarade électorale. Le fichier électoral est inutilisable, il faut obligatoirement un nouveau recensement électoral à effectuer par un opérateur fiable, choisi par appel d’offre international transparent. Connaissant l’incompétence des membres de la CENI et leur domestication par le chef de l’exécutif (ses membres changent, mais c’est pareil au même), j’ai préconisé de confier l’opération de recensement électoral à une agence onusienne comme le PNUD pour garantir la neutralité du processus électoral. Mais, apparemment les acteurs politiques engagés actuellement dans le processus électoral font la sourde oreille, ils reprennent leurs combats de chiffonniers sur des questions mineures comme le choix des représentants des démembrements de la CENI. Là aussi, nous devons savoir ce que nous voulons en cessant de retomber dans nos travers du passé.
Par Alpha Saliou Wann, analyste politique