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Guinée : inquiétude sur plusieurs projets de loi

Plusieurs projets de loi en cours d’examen par les députés guinéens proposent des  améliorations majeures en matière de droits humains, notamment l’abolition de la peine de mort et la criminalisation de la torture, mais contiennent des dispositions liberticides et discriminatoires, ont déclaré, aujourd’hui, un collectif de 30 organisations non gouvernementales dont Amnesty International.

Ces organisations publient aujourd’hui une analyse juridique des projets de loi sur le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code de justice militaire, le Code civil et la cyber-sécurité en cours d’examen à l’Assemblée nationale. Elles appellent les parlementaires à s’assurer que ces textes  soient conformes au droit international et régional des droits de l’homme, y compris en matière de liberté d’expression et de liberté de rassemblement pacifique. Les parlementaires doivent également veiller à en éliminer des dispositions discriminatoires notamment à l’égard des femmes.

«La Guinée est en voie de criminaliser la torture et de devenir le 19ième état africain à abolir la peine de mort», a déclaré Francois Patuel, chercheur sur l’Afrique de l’ouest pour Amnesty International.

«Toutefois, ces avancées majeures ne doivent pas être affaiblies par des dispositions qui constitueraient de réelles menaces pour la liberté d’expression et de rassemblement pacifique, les droits des femmes et la lutte contre l’impunité»

Répression des manifestations pacifiques

Les organisations signataires considèrent que les critères d’interdiction de manifestation sont mal définis dans le projet de loi sur le Code pénal. Ils donnent une large marge d’appréciation aux autorités et leur permettent d’interdire des manifestations pacifiques pour des motifs vaguement formulés et qui ne sont pas conformes aux normes internationales.

Le projet de loi portant Code pénal pérenniserait des pratiques déjà existantes comme les interdictions arbitraires de manifestations, les arrestations arbitraires de personnes ayant exercé leur droit au rassemblement pacifique et ouvre la voie à un risque de recours arbitraire et abusif à la force. Il prévoit des peines de prison pour les organisateurs de manifestations considérées comme illégales selon le droit guinéen ou qui n’ont pas été déclarées dans les formes requises. Une disposition tient les organisateurs de manifestations comme responsables de possibles actes illicites commis par d’autres manifestants.

Ce projet de Code pénal prévoit aussi la possibilité pour les forces de sécurité d’avoir recours à  la force, en dehors des conditions et des limites définies par les normes internationales. La législation guinéenne devrait en particulier clarifier que les forces de sécurité ne peuvent faire usage de la force que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’atteindre le résultat désiré.

« Rien qu’en 2015, la répression des manifestations et l’usage excessif de la force ont fait une dizaine de morts et des centaines de blessés. La révision du Code pénal constitue une opportunité unique de mieux protéger le droit à la liberté de rassemblement pacifique et d’encadrer l’usage de la force », a déclaré Saïkou Yaya Diallo, président du Centre guinéen de promotion et de protection des droits de l’homme.

Impunité et menaces sur le droit à un procès équitable

Les organisations signataires estiment que la compétence du tribunal militaire telle que définie dans le projet de loi sur le Code de justice militaire est trop largement étendue. Elle permet à un tribunal de justice militaire de juger des civils lorsqu’ils sont coauteurs ou complices d’infractions de la compétence des juridictions militaires, comme la trahison, l’attentat et le complot militaire. Ce qui menace leur droit à un procès équitable.

Les militaires inculpés pour des infractions de droit commun en période de conflit armé, y compris la torture, le viol et le crime de génocide, pourraient être jugés devant un tribunal militaire et non devant une cour ordinaire civile. Cette disposition pourrait porter atteinte à leur droit d’être jugé devant un tribunal impartial et indépendant. Elle pourrait également favoriser  l’impunité dont jouissent les éléments des forces de sécurité qui commettent des violations de droits humains. Malgré les plaintes déposées par les familles des personnes tuées dans le cadre des manifestations en 2015, aucun élément des forces de sécurité n’a été amené devant la justice.

« La justice pour les violations des droits de l’homme doit être la même pour tous. Si la Guinée criminalise la torture dans le projet de loi portant Code pénal, elle doit s’assurer que les forces de sécurité, y compris les militaires, peuvent être jugées pour des violations des droits de l’homme devant des instances de droits communs ordinaires en période de paix et en période de conflit armé», a déclaré Clément Boursin, responsable Afrique à  Action des chrétiens pour l’abolition de la torture  (ACAT France).

Répression des opinions  dissidentes

Plusieurs dispositions pourraient être utilisées pour réprimer les opinions  dissidentes ou la divulgation d’informations relatives aux violations des droits humains. Par exemple, le projet de Code pénal prévoit une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison et une amende d’environ 232 euros en cas d’outrage, de diffamation et d’injures, y compris à l’encontre de personnalités publiques, par des gestes, des écrits ou des dessins.

Selon les termes du projet de loi sur la cyber-sécurité, « les données devant être tenues secrètes » pour des raisons de défense nationale ne doivent pas être divulguées, au risque d’être accusé de trahison ou d’espionnage, avec une peine de prison à perpétuité. La divulgation et la communication de « fausses informations » est aussi passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et d’une amende d’environ 11 557 euros.

« Ces dispositions marquent un net recul en matière de protection de la liberté d’expression. Elles reposent sur des notions mal définies et pourraient être utilisées de manière abusive pour incriminer des personnes exprimant des opinions dissidentes, y compris des journalistes, blogueurs  et lanceurs d’alerte qui cherchent à exposer des violations de droits humains », a déclaré Me Labila Sonomou, président d’Avocat Sans Frontière Guinée (ASF).

Discriminations à l’égard des femmes

Certains textes en examen à l’Assemblée nationale contiennent des dispositions discriminatoires, notamment à l’égard des femmes. Le projet de loi portant Code civil maintient l’interdiction de la polygamie, mais l’autorise sous certaines conditions mal définies, comme en cas de « raisons graves ayant le caractère d’une force majeure ».

Dans un rapport publié en avril2016, les Nations Unies s’inquiétaient de l’augmentation des mutilations génitales féminines en Guinée, qui touchent 97% des femmes et des filles âgées de 15 à 49 ans. Les mutilations génitales sont criminalisées dans le projet de loi portant Code pénal, mais la peine pour mutilations génitales féminines peut se limiter à une amende. Ce qui semble peu sévère comparé à la peine relative aux mutilations des organes génitaux de l’homme : 10 à 20 ans de prison, et jusqu’à la prison à vie si la personne décède des suites de la mutilation.

Selon une étude du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) publiée en 2012, la Guinée a l’un des taux de prévalence de mariage précoce les plus élevés au monde. En moyenne, trois filles sur cinq sont mariées avant l’âge de 18 ans. Si le mariage forcé est « formellement interdit » et que le mariage doit être conclu « sur la base d’un consentement mutuel, libre et volontaire de chacun des futurs époux majeurs », le projet de loi portant Code pénal prévoit des dérogations en cas de « dispositions particulières » qui ne sont pas clairement définies dans le texte.

« Les autorités doivent veiller à ce que l’interdiction du mariage forcé et précoce soit applicable à toutes les formes de mariage, y compris ceux coutumiers et religieux, et fixer à 18 ans l’âge minimum de mariage pour les garçons et les filles conformément à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant », a déclaré Fatou Souaré Hann, directrice exécutive de WAFRICA – Guinée.

Source : Amnesty International

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