Tout Guinéen se souvient de l’issue des tentatives inespérées d’un certain capitaine qui se croyait fort pour pérenniser un pouvoir éphémère et transitionnel en voulant imposer sa candidature. Pourquoi la même épée de Damoclès encore sur nos têtes ? Que faisons-nous de notre histoire, du devenir de notre pays ? Ceux qui s’agitent aujourd’hui pour une nouvelle constitution, antichambre d’un troisième mandat, berceau d’un pouvoir à vie, connaissent-ils réellement la Guinée ? Sont-ils des patriotes ou de simples individus que le hasard a fait naître dans un bout de terre du Bon Dieu dénommée Guinée ? L’éclairage de Lamarana-Petty Diallo.
Lorsque je pense, me retourne, réfléchis, analyse et jette un regard sur l’histoire du pays qui a été mon berceau, qui m’a nourri et fait grandir, j’éprouve un choc bouleversant. Je me dis, depuis que je suis né, j’ai toujours entendu les mêmes prières, les mêmes plaintes et complaintes, vécu les mêmes attentes et vu se répéter les mêmes déceptions, les mêmes bêtises, les mêmes trahisons. Je me dis, pourquoi, mon Dieu, avons-nous eu la même catégorie d’hommes politiques qui se disent plus patriotes les uns que les autres et qui n’ont eu de cesse de rouler les Guinéens dans la farine, de les abreuver de mensonges, de les tenir par la division, l’ethnocentrisme, la corruption, la gabegie… ? Ces interrogations stridentes me déchirent le ventre, entaillent ma chair et habitent mon esprit, mes pensées, mes rêves. Pourtant, je ne suis pas révolutionnaire au sens marxiste ou léniniste du terme.
Je ne demande pas un bouleversement dans le sang et le chaos, je rêve tout simplement de changement, d’évolution. Je tiens juste à ce que les attentes déçues de nos parents et aïeux se réalisent dans et par ma génération. Je veux tout juste participer à la construction d’une base, ne serait-ce qu’un tout petit point de départ qui permette les réussites de demain. Je ne demande que d’oeuvrer à mettre sur pied, ne serait-ce un minimum de fondement de bien-être pour les générations actuelles et futures. En ce moment, je me dirai, sans avoir forcément fait le bonheur du Guinéen, j’aurai contribué à donner un sens à leur vie.
Mais les ratages se compilent. Les erreurs se reproduisent. Les blocages s’éternisent. Les égoïsmes laminent tout espoir de progrès et de changement. Toutes choses qui ne sauraient plus durer malgré les tentatives abruptes et malsaines en cours. Des manigances qui ressemblent à bien des égards à celles du passé.
En effet, nous assis tons, à quelques exceptions près, au scénario de 2009. Les mêmes défis reviennent avec les mêmes enjeux : braver la volonté du peuple en le forçant d’aller à «une nouvelle constitution» afin de s’éterniser au pouvoir. Pour ce faire, on reprend les mêmes recettes et réunit les mêmes ingrédients. On coopte des hommes et des femmes dans les bas-fonds, dans la pègre, les coulisses du pouvoir, l’administration et l’ethnie. On les érige en porte-parole non plus du pouvoir mais du peuple. On tente de berner l’opinion en exhibant un peu partout des banderoles « vive le troisième mandat » ; « la ville ou région de… dit oui au troisième mandat ».
Corrélativement, on fait vociférer dans la presse, sur les tribunes des assemblées générales les moins intelligents du parti au pouvoir. Pendant ce temps, les plus zélés, souvent incultes, se déchaînent sur les réseaux sociaux et déversent, dans un vocabulaire malodorant et haineux, des injures sur les «anti-troisième mandat». Oublient-ils que les Guinéens ont connu des gens de leur sorte. Ils en ont connu sous tous les pouvoirs. Du Parti Démocratique de Guinée (PDG) où des surnoms innombrables ont été attribués au président de l’époque. Le Comité Militaire de Redres sement National (CMRN) n’en connu pas moins et l’avènement du Parti de l’Unité et du Progrès (PUP) démultiplia les ardeurs. Le surnom d’un certain ministre qui déversait des billets de banque à des fins de campagne est dans bien d’esprits.
Du temps du Conseil national pour le développement et la démocratie (CNDD), des affamés aux poches trouées, des ministres cooptés à cause de leur larbinisme, des chômeurs, des manitous aux boubous blanc s squattaient le camp Alpha Yaya. Ce sont eux qui ont induit le turbulent capitaine en erreur et l’ont poussé à l’irréparable. Aujourd’hui, comme naguère, ce même genre de personnes arrivées depuis peu dans le sérail du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), adoubés par le président au grand dam de certains caciques du système, tentent le diable. Par l’entourloupe de toutes sortes de subterfuges, de manigances politico-ethniques, ces gens qui n’ont que mépris pour les Guinéens et une lubie pour leurs intérêts personnels croient pouvoir se jouer de l’histoire.
Ignorance ou amnésie ? En tout état de cause, il est bien regrettable que des compatriotes perdent de vue que les systèmes, les pires comme les meilleurs, passent et les peuples leur survivent. Ces scripts de la nouvelle constitution, tant et si bien qu’ils existeraient et les thuriféraires du président Condé risquent d’enflammer la Guinée. Ne s’apercevant pas que le monde a évolué et constitue désormais un même village, ils ne se rendent pas compte que nul ne peut plus régner par l’obscurantisme, la force, la corruption ou le clientélisme. Ils ne voient pas que les peuples sont devenus tout à la fois vigilants qu’exigeants. Que le peuple de Guinée l’est autant que les autres. La preuve. Partout fleurissent les contestations de la nouvelle constitution et du troisième mandat.
Toutes les régions du pays s’en font écho et l’expriment dans toutes les langues. Partout, c’est le même refrain : «Amulanfé, Gassata, non au troisième mandat», etc. Chaque jour qui passe, montre que les fronts anti-troisième mandat se multiplient : Coyah cette semaine ; que les désaveux des représentants du pouvoir font de plus en plus lésion: Dubréka, il y a quelques semaines, Mamou ces derniers jours. La liste est longue. Il faut savoir que la réalité diversifiée est la plus grande des vérités. Elle impose et s’impose au système et aux hommes. Les nouvelles technologies y contribuent.
De nos jours un simple clic peut faire changer le cours des choses. Plus besoin d’appel de partis politiques ou de gouvernements. Les peuples sont arrivés à un stade tel qu’ils peuvent faire ou défaire un système en quelques heures. La magie du net a défait, lors du printemps arabe, les systèmes les plus fermés, les plus ancrés dans la violence et la dictature. Dans ces conditions, qui peut dire que notre pays est à l’abri de son printemps ou de toute autre forme de changement, y compris les plus craint? Malgré les supputations de conflit au sein de la société civile, le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) est passé d’oeillet à phare qui illumine tant de l’intérieur que de l’étranger.
Il multiplie ses actions à Paris comme à Londres, Bruxelles, New-York, etc. Comme en 2009, les Guinéens se font entendre et parlent de la même voix. Ainsi, le «non au troisième mandat» résonne-t-il comme le «non à la candidature de Dadis». La chaîne de contestations se fortifie avec la déclaration des centrales syndicales de Guinée qui viennent d’exprimer leur opposition à toute tentative de modification de l’actuelle constitution ou d’imposition d’une nouvelle. Les partis politiques sont majoritairement sur la même voie. Quelques bisbilles entendues par-ci, par-là, ne signifient pas une opposition antagonique car le principe reste le même. Ils devraient simplement comprendre que leur sursis ne saurait plus se prolonger : tout échec les exposerait sérieusement à une fin de parcours. Autrement dit, entre l’opposition et le parti au pouvoir, c’est désormais qui survivra à l’autre. Aux leaders politiques de jouer car, dans les semaines ou mois à venir, il risque de n’avoir qu’un survivant dans le combat politique actuel.
L’échec des consultations en cours sonnera inéluctablement la fin de règne du gouvernement en place. Et à long terme, du système Condé. A contrario, si l’opposition se montrait incapable de déjouer la nasse à défaut d’entente et de fermeté, elle aura signé la fin de sa crédibilité. Par conséquent, son arrêt de mort. On voit bien que l’enjeu actuel ne s’apparente pas à une guerre de tranchées. C’est d’un combat corps à corps qu’il s’agit. Un combat qui inclut certes les partis politiques et leurs chefs mais surtout le peuple de Guinée. Un peuple qui n’est pas sans savoir que le pouvoir en place est habitué aux déclarations, aux promesses non tenues et se préoccupe très peu des lendemains. Il sait également que les accords politiques n’ont abouti qu’à le berner.
D’où la nécessaire pression sur les leaders de l’opposition pour les mettre en garde contre une quelconque acceptation de dialogue ou de consultation qui serait sanctionnée par une énième signature. Les rêveurs debout, les habitués des pouvoirs passés, prompts à renaître de leurs cendres pour piéger tout nouveau système, devraient écouter cette sentence : le vieux singe emporte toujours ses puces. Autant dire, ils ne feront pas plonger le président Condé tout seul pour tendre la main à un éventuel successeur. Ils devraient savoir que la fin des monarchies ethniques et familiales a sonné. Le prochain changement fera le grand ménage, car les jeunes générations ne s’embarrassent pas du passé.
In le populaire