Quand la France ou la Tunisie expulsent des Nègres, on crie au racisme. Quand des Nègres expulsent des Nègres, à quoi doit-on crier ? Plus ridicule encore, quand la Guinée expulse des Sierra-Léonais, doit-on crier ou simplement crever de honte ? Le ministre qui a fait ça a-t-il toute sa tête ? Sait-il qu’un Kaba a été élu président de la République de Sierra-Léone et qu’en ce moment, c’est un Diallo qui en est le vice-président ? Lui a-t-on dit que tous les Kaba du monde viennent de Kankan et que généralement, les Diallo, c’est à Pita ou à Labé qu’on les trouve ?
Ce monsieur a tout faux et le contenu et la méthode. Mais peut-être que tout cela est calculé. Notre ministre voudrait soumettre nos compatriotes de Kenema et de Freetown à la vindicte de nos frères sierra-léonais, qu’il ne se serait pas pris autrement.
Notre continent vit une époque trouble. Ce n’est pas le moment de semer la zizanie dans la grande famille africaine, surtout de cette manière-là. Ces pauvres gens n’ont pas été expulsés en tant que délinquants mais en tant que Sierra-Léonais. C’est choquant et pas seulement pour les Sierra-Léonais. Dans un Etat normal, on les aurait jugés au cas par cas devant une juridiction régulière, et le cas échéant, expulsés ceux qui mériteraient de l’être dans le strict respect des règles du droit national et international. Mais non, on reconnaît-là aussi comme dans tout ce qu’il fait, les traits caractéristiques du dirigeant guinéen : la désinvolture, la cruauté et la mesquinerie.
Ce généreux peuple de Sierra-Léone a, un siècle durant, reçu et intégré des générations de Guinéens. Est-ce ainsi que l’on doit le remercier ? Je comprends, je soutiens et je partage entièrement la colère légitime de l’ambassadeur sierra-léonais. Son excellence Oumarou Sitta Touré a raison de dire ce qu’il a dit : « En tant qu’ambassadeur de Sierra-Léone, il y a des actions que les autorités sont en train de faire qui ne nous plaisent pas. Donc, on est là pour faire en sorte que ça ne se répète pas… Il n’y a pas de Guinéens qui sont légalisés en Sierra-Léone, il n’y a pas de Sierra-Léonais légalisés en Guinée. Nous sommes les mêmes.» Hélas, il n’y a pas dans notre gouvernement une seule tête capable de sortir ces propos frappés au coin du bon sens.
Il y a des choses qu’on ne fait pas. Comme on le dit au village, « même les fous savent qu’on ne chie pas à la mosquée ». Cet acte est ignoble, un signe d’ingratitude caractérisé. Les Guinéens n’ont pas le droit d’expulser des étrangers encore moins des Africains. L’histoire chaotique de notre pays, étant ce qu’elle est, ce sont les pays voisins qui logent, nourrissent et blanchissent une bonne partie de nos concitoyens. C’est à Dakar ou à Bamako qu’on part se soigner pour le moindre rhume. Même pour jouer au football, nous sommes contraints d’emprunter un stade à Korhogo ou à Abidjan.
Sans la solidarité fraternelle des pays voisins (le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Sierra-Léone et le Libéria, surtout) nous aurions déjà disparu. Si les dirigeants de ces pays avaient le même esprit étriqué que les nôtres, nous nous serions retrouvés du jour au lendemain avec pas moins de 7 000 000 de nouvelles bouches à nourrir.
Me revient à l’esprit le souvenir de cette anecdote survenue il y a un ou deux ans dans un restaurant de Lambagny. A un abruti qui l’avait traité d’étranger, un jeune Sénégalais s’était contenté de répondre ceci : « Vous savez, Monsieur, en Guinée, il y a 6 500 Sénégalais et au Sénégal, il y a 4 000 000 de Guinéens ».
Tierno Monénembo, in le Lynx