CHRONIQUE. Tout donne à penser qu’il y aura un avant et un après-discours de Saint-Raphaël à propos de ces héros de l’ombre, « ces dogues noirs de l’Empire… que personne ne nomme » pour paraphraser Senghor.
Le discours fait à Saint-Raphaël sera-t-il suivi de concret ou restera-t-il un simple effet d’annonce ? Croisons les doigts. Les promesses sont rarement tenues quand il s’agit de l’Afrique. Il reste que le geste de Macron est sans précédent. Jamais un président français n’avait été aussi loin dans le souci de la vérité historique : après avoir assimilé la colonisation à un crime contre l’humanité, voilà qu’il exhorte les maires à donner aux tirailleurs sénégalais les noms de leurs rues et de leurs places. Une occasion pour nous de pousser un « ouf » de soulagement et, pour la France, de réparer une cruelle injustice.
La réparation d’une injustice flagrante
En effet, les tirailleurs sénégalais lui ont beaucoup donné et rien, sinon très peu, reçu en retour. Alors qu’ils se trouvaient souvent aux avant-postes et effectuaient les missions les plus périlleuses, ces « chairs à canon » comme on les surnommait dans les tranchées furent jetées comme des pneus crevés dès que sonna le clairon de l’armistice. Pensez donc ! Jusqu’en 2007, leurs prestations valaient à peine la moitié de celles de leurs collègues blancs. Les métropolitains touchaient alors 400 euros, eux 190 ; les Algériens 90 et les Vietnamiens, à peine 40. Et si ces prestations ont été revalorisées depuis lors, elles ne concernaient que la pension du feu, à savoir la retraite du combattant et la pension militaire d’invalidité. Et si elles ont été revalorisées depuis, il a fallu attendre 2010 pour que la mesure soit étendue à la pension de retraite et indexée sur les prestations de leurs collègues français. En bref, une ségrégation parfaitement légale sous le toit d’une République connue pour ses intarissables leçons sur la liberté, l’égalité, la fraternité, les droits inaliénables de l’homme et tutti quanti.
Retrouver leur vraie place…
Pourtant, la réalité est là, aussi irréfutable que l’éléphant d’Alexandre Vialatte : les tirailleurs sénégalais sont au cœur de l’histoire de France, et ce, depuis 1857. C’est cette année-là que les généraux Faidherbe et Mangin créèrent à Saint-Louis du Sénégal la Force noire, un effectif de 15 000 personnes qui participa à la conquête de Madagascar et à la « pacification » du Maroc. En 1914, ils étaient déjà 200 000 personnes et ne venaient plus seulement du Sénégal mais de toutes les colonies d’Afrique noire. Ils se firent particulièrement remarquer à la prise du fort de Douarmont, en 1916. 30 000 d’entre eux moururent au champ d’honneur. En 1939, 140 000 furent engagés dans la bataille et 24 000 furent faits prisonniers ou tués. Sans eux, il n’y aurait eu ni Bir-Hakeim, ni la Marne, ni la conquête de l’île d’Elbe, ni la prise de Toulon.
… dans l’histoire de France
Ces soldats sans peur et sans reproche que le maréchal Foch appréciait particulièrement méritent d’occuper la place qui leur revient dans l’histoire de France. En ce sens, le discours fait à Saint-Raphaël ne se perçoit pas comme un geste de générosité, mais comme la reconnaissance d’un dû. Quoi de plus normal que dès demain – pourquoi pas dès ce soir ? – les petits Français découvrent une place, un pont, une rue baptisé du nom d’un Africain et d’interrogent. On pourra par exemple leur répondre que le capitaine N’Tchoréré fut un illustre officier d’origine gabonaise tué à la bataille d’Airennes en 1940 après avoir tenu compte avec sa compagnie à une colonne de chars allemands, que Yorgui Koli était un tirailleur originaire du Tchad qui s’est illustré dans les batailles de Giromagny et de Belfort en novembre 1944, qu’Addî Bâ, d’origine guinéenne, a fondé le maquis de la Délivrance dans les Vosges et a été fusillé par les Allemands en 1943. Seulement, les rues et les ponts ne suffiront pas, président Macron. Il faudra aussi – j’allais dire surtout – une bonne dose de pédagogie. Il est grand temps que la France raconte à ses enfants son histoire africaine sans autre souci que celui de rétablir les faits tels qu’ils se sont déroulés.
Par Tierno Monénembo
NB : cette chronique a été publiée d’abord sur le site le point.fr