Le président Vladimir Poutine a obtenu 87 % des voix à l’élection présidentielle russe, selon la Commission électorale du pays. Ce résultat encore provisoire a été délivré sur la base du dépouillement des bulletins de 80 % des bureaux de vote. Comme attendu dans ce scrutin sans suspense, le maître du Kremlin se dirige vers un plébiscite.
Vladimir Poutine a remercié les Russes d’avoir voté à la présidentielle qu’il a largement remportée, selon des résultats préliminaires. Le président russe a estimé que les premiers résultats de la présidentielle en Russie le donnant largement gagnant démontraient la « confiance » des Russes dans son pouvoir. « Nous avons beaucoup de tâches concrètes et importantes à accomplir. Les résultats de l’élection témoignent de la confiance des citoyens du pays et de leur espoir que nous ferons tout ce qui est prévu », a-t-il déclaré dans un discours télévisé dans la nuit de dimanche à lundi. Vladimir a assuré que son pays ne se laisserait pas « intimider », ni « écraser ».
Un « soutien colossal », selon la télévision russe
« Soutien colossal », « consolidation incroyable » de la société… La télévision russe multipliait les superlatifs pour décrire la victoire du chef de l’État, après une élection dont l’opposition avait été exclue après une répression sans merci. Ce plébiscite marque un record pour celui qui avait toujours recueilli entre 64 et 68 % des suffrages aux scrutins précédents. Le pouvoir avait martelé au préalable que le peuple russe devait être « uni » derrière son leader, présentant le conflit ukrainien comme ourdi par les Occidentaux pour détruire la Russie. L’assaut contre l’Ukraine, déclenché par le maître du Kremlin en février 2022 et qui n’a pas d’issue en vue malgré ses dizaines de milliers de morts, était quant à lui en toile de fond du vote, d’autant que les attaques sur le territoire russe se sont multipliées cette semaine.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a estimé que Vladimir Poutine était un homme « ivre de pouvoir » qui veut « régner éternellement ». « Il est clair pour tout le monde que ce personnage, comme cela s’est produit si souvent dans l’histoire, est tout simplement ivre de pouvoir et fait tout ce qu’il peut pour régner éternellement », a déclaré Volodymyr Zelensky dans un message sur les réseaux sociaux, estimant que la présidentielle russe n’a « aucune légitimité ».
Le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni David Cameron a déploré quant à lui l’absence d’élections « libres et équitables » en Russie, dans un message posté sur X (ex-Twitter). Le chef de la diplomatie britannique a dénoncé « l’organisation illégale d’élections sur le territoire ukrainien, l’absence de choix pour les électeurs », et « l’absence de contrôle indépendant de l’OSCE », l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.
Pas de place à la contradiction
En Russie, les autorités n’ont pas laissé de place aux contradicteurs du pouvoir : les trois autres candidats sélectionnés étaient tous dans la ligne du Kremlin, qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de la répression qui a culminé avec la mort d’Alexeï Navalny dans une prison de l’Arctique en février. Dans ce contexte, l’épouse du défunt détracteur numéro un de Vladimir Poutine, Ioulia Navalnaïa, avait appelé ses partisans à se montrer en nombre en allant tous voter au même moment, à midi dimanche, contre le président russe. Elle-même a voté après plusieurs heures d’attente dans une foule immense à l’ambassade de Russie à Berlin. L’équipe d’Alexeï Navalny a déclaré que le score obtenu par Vladimir Poutine à la présidentielle russe n’avait « pas de lien avec la réalité ». Vladimir Poutine a, de son côté, affirmé dans son discours avoir été favorable à un échange de prisonniers avec les Occidentaux incluant son principal détracteur Alexeï Navalny, avant sa mort.
Par endroits à Moscou, comme à Saint-Pétersbourg, des queues importantes se sont formées à l’heure dite. Mais devant d’autres bureaux de vote, l’affluence ne semblait pas particulièrement élevée. Dans le quartier moscovite de Marino, devant le bureau où Alexeï Navalny votait naguère, quelques dizaines de personnes ont répondu à l’appel.
La porte-parole de la diplomatie russe a, quant à elle, affirmé que les électeurs allés en masse aux ambassades, comme à Paris, Londres et Berlin, n’étaient pas des partisans de l’opposition. « Ils sont venus voter, saisissant l’opportunité que leur pays, la Russie, leur a offerte malgré toutes les menaces de l’Occident », a écrit sur Telegram Maria Zakharova.
Les hostilités en Ukraine se sont aussi invitées dans le scrutin. La semaine électorale a notamment été marquée par des frappes aériennes meurtrières et des tentatives d’incursion terrestre à partir de l’Ukraine sur le territoire russe, répliques aux bombardements et assauts quotidiens de la Russie contre sa voisine depuis plus de deux ans.
Sur ce scrutin, Cécile Vaissié, historienne, professeure à l’université Rennes-II, estime : « On est vraiment dans le théâtre. On est dans l’idée de : “Vladimir Poutine veut avoir son plébiscite”. Il voulait pouvoir dire à l’Occident : “Regardez comme nous sommes unis, regardez comme nous sommes ensemble”». « Ça ressemble absolument aux unes de la Pravda dans les années 1960, quand vous aviez “Le parti et le peuple sont unis” ou “Nous sommes tous unis face aux difficultés” (…) Ils veulent montrer qu’ils ont 140 millions de personnes derrière eux. Et s’ils veulent le monter, c’est aussi une façon de dire à l’Occident : “Regardez comme nous, nous n’avons pas vos divisions internes”, et au bout du compte : “Comme tout nous réussit” », dit-elle.
L’opération « midi contre Poutine » fait le plein à l’étranger
Comment exprimer son désaccord avec la politique de Vladimir Poutine, dans un pays où aucune dissidence n’est tolérée, où la répression s’est encore renforcée et où aucun véritable candidat d’opposition n’a pu se présenter à la présidentielle ? L’opposition avait appelé à se rendre dans les bureaux de vote à la mi-journée. L’opération « midi contre Poutine » s’est soldée par quelques dizaines d’arrestations en Russie. Mais elle a surtout fait le plein à l’étranger, où des milliers d’électeurs russes se sont réunis.
De Tokyo à Berlin, en passant par Bichkek, Astana, Erevan. De Tel Aviv à Londres, en passant par Lisbonne, Madrid ou Limassol … En Asie, en Europe, au Moyen-Orient, de longues files d’attente se sont formées aux abords des représentations diplomatiques, parfois dès la matinée. À Paris, des milliers de personnes ont patienté durant plusieurs heures pour aller voter à l’ambassade. Un rassemblement a ensuite eu lieu sur la place du Trocadéro, en présence d’élus français et de dissidents russes, avec des slogans anti-Poutine ou appelant au retrait des troupes d’Ukraine.
Il y avait milliers de personnes également devant l’ambassade de Russie à Berlin, où la file d’attente s’est étendue sur plus d’1 kilomètre, selon le décompte du correspondant du média en ligne Agentstvo. Parmi les personnalités présentes, il y avait l’ancien magnat du pétrole, aujourd’hui opposant russe, Mikhaïl Khodorkovksi, et Ioulia Navalnaïa. La veuve d’Alexeï Navalny, mort en détention le mois dernier, s’était jointe à cette initiative, appelant à donner sa voix à n’importe quel candidat autre que Vladimir Poutine. « Ioulia on est avec toi », a scandé la foule à l’adresse de la jeune femme qui a promis de reprendre le flambeau de son mari. À deux pas de là, des manifestants ont déposé une baignoire avec une représentation de Vladimir Poutine dans un bain de sang.
AFP