Comme nous l’annoncions précédemment, l’audition des victimes du massacre du 28 septembre 2009 a débuté ce mardi 14 février 2023, au tribunal criminel de Dixinn délocalisé à la cour d’appel de Conakry. La première victime à être auditionnée est Oury Baillo Bah. Cet avocat a fait le récit glaçant des dernières heures de son frère, tué au stade.
Lunettes de soleil noires sur le nez, Oury Baillo Bah dit vouloir protéger ses yeux de la lumière intense qui éclaire la pièce. Mais c’est plutôt l’émotion qu’il tente de dissimuler, par pudeur. Il débute par « une pensée très pieuse à toutes les victimes, aux morts, aux disparus, aux femmes violées, aux personnes battues, à toutes les personnes même celles qui ont simplement été traumatisées par la violence des massacres ».
Oury Baillo Bah s’est constitué partie civile parce que lors du massacre il a perdu « [son] petit frère bien aimé ». Ce dernier s’appelait Elhaj Hassan. Le matin du 28 septembre 2009, il se retrouve entraîné par le flot des manifestants vers le Stade du 28-Septembre. Oury n’est pas serein ce jour-là, à cause du meeting. Il passe un coup de téléphone à son frère pour savoir où il se trouve. Ce dernier va lui décrire au fur et à mesure ce qu’il voit sur place : sur l’esplanade, devant le stade, la « foule énorme » et « les gendarmes », « les deux premiers morts » en présence du colonel Tiegboro, accusé dans le procès.
Les manifestants parviennent à rentrer dans le stade. À travers le combiné du téléphone, il y a d’abord les échos des discours et puis lorsque les bérets rouges font leur entrée, « le crépitement des balles », « les cris des gens »… Son frère court, son souffle s’accélère… Soudain, le téléphone tombe, Elhaj Hassan ne répond plus…
« Nous n’avons même pas une tombe où nous recueillir »
Sans nouvelle de lui, Oury Baillo Bah se lance à sa recherche. À l’hôpital Donka, il assiste à l’afflux de blessés, aux urgences saturées. « Il y avait une telle une cacophonie, raconte-t-il. J’ai vu aussi du sang couler sur les marches de l’hôpital comme si on était dans une boucherie ».
Vers 18h, il reçoit un coup de téléphone : « J’ai reçu la nouvelle fatidique… » Quelqu’un a vu le cadavre de son frère sur l’esplanade du stade. Oury Baillo Bah sort un mouchoir de sa poche et s’essuie les yeux. Le corps n’a jamais été restitué à sa famille. « Nous n’avons même pas une tombe où nous recueillir monsieur le président. » Oury s’effondre. « Nous n’avons même pas encore fini notre deuil. » Elhaj Hassan fait partie des dizaines de disparus du massacre du stade de Conakry.
Avec RFI