Les mouvements citoyens, activistes, militants et acteurs de la société civile africains condamnent fermement la répression continue des journalistes et acteurs des médias et la fermeture drastique de l’espace civique au Burkina Faso !
Le 5 avril 2025, nous avons découvert avec surprise à travers une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, montrant trois journalistes burkinabè, Guézouma Sanogo, Boukari Ouoba et Luc Pagbelguem en treillis militaire au front. Cette “réquisition” a en croire les soutiens des militaires au pouvoir à Ouagadougou, leur permettra de « couvrir la réalité » de la lutte contre le terrorisme.
Guézouma Sanogo et Boukari Ouoba, respectivement président et vice-président de l’Association des Journalistes du Burkina (AJB), ont été enlevés le 24 mars 2025 dans les locaux du Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ). Ils ont été conduits vers une destination inconnue par des individus se présentant comme des agents des services de renseignement. Le CNP-NZ est le symbole de la liberté d’expression et de la presse au Burkina Faso. Il porte le nom du célèbre journaliste, Norbert Zongo, assassiné le 13 décembre 1998.
Cet enlèvement est survenu trois jours après leurs dénonciations publiques concernant la détérioration de la liberté de la presse et l’ingérence croissante du pouvoir dans les médias. Ces prises de position ont été exprimées lors de l’Assemblée générale de l’AJB, le 21 mars 2025, qui a vu la réélection de Guézouma Sanogo à la tête de l’association pour un mandat de cinq ans.
Le même jour, Luc Pagbelguem, journaliste à la chaîne de télévision privée BF1, a été arrêté par des agents du Conseil national de sécurité sous prétexte d’un simple interrogatoire concernant son reportage sur le congrès de l’AJB tenu le 21 mars.
Au lendemain de leurs arrestations, le gouvernement a décidé de dissoudre l’AJB, justifiant cette mesure par une prétendue non-conformité avec une loi de 2015 régissant les associations. « Au regard de la loi (…), il n’existe pas d’association dénommée Association des journalistes du Burkina », a déclaré le ministre de l’Administration territoriale, Émile Zerbo, dans un communiqué.
Le 30 mars, le Secrétaire exécutif de Balai Citoyen, Ousmane Lankoande, a été enlevé par la junte militaire à son retour d’un événement à Cotonou, au Bénin. Quelques jours auparavant, un autre activiste de Balai Citoyen, Amadou Sawadogo, avait également été kidnappé à Ouagadougou. Les deux individus restent portés disparus, et leur localisation demeure inconnue. Ces incidents reflètent l’environnement de plus en plus répressif au Burkina Faso, où les acteurs de la société civile sont ciblés et réduits au silence sous le régime actuel.
En 2024, plusieurs journalistes et figures des médias ont été enlevés et portés disparus, parmi lesquels Atiana Serges Oulon, Bienvenu Apiou, James Dembélé, Mamadou Ali Compaoré, Kalifara Séré, Adama Bayala. Tous étaient connus pour leurs critiques envers la junte au pouvoir depuis.
Le Burkina Faso bénéficiait jusque-là d’un paysage médiatique dynamique, professionnel et pluraliste. Le pays comptait plus de 80 journaux (Sidwaya, L’Événement, Le Pays), 185 radios (Omega FM), une trentaine de chaînes de télévision (Radiodiffusion Télévision du Burkina, BF1) et plus d’une centaine de sites d’information (faso.net, Faso 7, Burkina 24).
Depuis l’arrivée au pouvoir de la junte dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022, la censure s’est intensifiée. Les autorités ont commencé par interdire l’accès à plusieurs médias internationaux tels que Deutsche Welle, Le Monde.fr, The Guardian, BBC, Voix de l’Amérique, RFI, France 24 et Jeune Afrique, les accusant de « nuire à l’effort national contre les groupes armés jihadistes ». En conséquence, le Burkina Faso a vu son classement dans l’index mondial de la liberté de la presse chuter de la 58ᵉ place en 2023 à la 86ᵉ en 2024.
La répression ne se limite pas aux journalistes. Des militants politiques, des défenseurs des droits humains et des artistes sont soit enlevés, soit contraints à l’exil. Le 18 mars, le journaliste Idrissa Barry, membre du mouvement politique « Servir et non se servir » (Sens), a été enlevé en plein jour après que son organisation a dénoncé des massacres de civils, attribués à l’armée. Le 22 mars, quatre autres membres du mouvement ont subi le même sort. De plus, le coordonnateur national du mouvement, un avocat et cofondateur du collectif Balai Citoyen, Guy Hervé Kam, est emprisonné depuis juillet 2024 sous des accusations de « complot et association de malfaiteurs » sans aucun fondement et hors toute procédure régulière.
Le 25 mai 2024, la junte a prolongé la transition de cinq ans lors d’assises nationales organisées à huis clos. Les partis politiques traditionnels ont été exclus du processus décisionnel, et la nouvelle charte impose un critère de « patriotisme » pour siéger au gouvernement et à l’Assemblée de transition, rendant toute opposition quasi impossible.
De fait, le Burkina Faso n’est plus en transition puisque le capitaine Ibrahim Traoré s’est fait nommer Président du Faso, titre conféré uniquement à un président élu. En outre, le 1er avril 2025, dans un discours diffusé en direct à la télévision nationale, le chef des putschistes a officiellement décrété la fin de la démocratie au Burkina Faso, proclamant une révolution populaire progressiste.
Selon l’Indice Mondial du Terrorisme 2025, le Burkina Faso est classé comme le pays le plus touché par le terrorisme dans le monde pour la deuxième année consécutive. La région du Sahel central, où se situe le Burkina Faso, est devenue l’épicentre du terrorisme, représentant plus de la moitié de tous les décès liés au terrorisme dans le monde.
Toutefois, cette situation ne saurait servir de prétexte à la répression des libertés fondamentales.
Nous, organisations signataires de cette déclaration, rappelons que les enlèvements, réalisés hors de tout cadre judiciaire légal, violent plusieurs articles de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP).
Nous, mouvements citoyens et organisations de la société civile engagés dans la défense des droits humains et des libertés fondamentales, exigeons :
– La libération immédiate de tous les journalistes et militants pro-démocratie enlevés ;
– L’arrêt de la répression des voix dissidentes et des militants pro-démocratie ;
– La fin de la restriction de l’espace civique et l’ouverture de l’espace politique pour l’épanouissement des organisations citoyennes, partis et mouvements politiques;
– Le respect et la protection des droits fondamentaux des citoyens burkinabè, conformément à l’article 1 de la Charte de la transition adoptée le 25 mars 2024.
Face à la répression systématique des voix dissidentes au Burkina Faso, nous exhortons le médiateur de la CEDEAO au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), le président du Ghana, John Dramani Mahama, à intervenir et faire de la libération de ces journalistes et militants des droits humains une priorité absolue.
En définitive, nous réaffirmons notre solidarité et notre soutien sans faille envers les activistes pro-démocratie au Burkina Faso, qui œuvrent avec courage pour la défense des droits fondamentaux et des libertés civiles dans un contexte de répression accrue.
Signataires
– AfricTivistes
– AfrikaJom Center
– West Africa Democracy Solidarity Network (WADEMOS)
– Ghana Center for Democratic Development (CDD-Ghana)
– Article 19 Afrique de l’Ouest
– Africans Rising
– Réseau Africain de Droit Constitutionnel (RADC)
– Alioune Tine, Militant des droits humains et expert des Nations Unies (ONU)
– Ibrahima Kane, avocat et co-fondateur de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho)
– Deji Adejanyu, militant et avocat nigérian
– Salieu Taal, ancien Président de l’Ordre des avocats de Gambie
– Paul Amegakpo, Directeur de l’Institut Tamberma pour la Gouvernance
– Front Citoyen Togo Debout
– Fovi Katakou, Tournons La Page-Togo
– Glory Cyriaque Hossou. Juriste et Militant des droits humains
– Nerima Wako Ojiwa, directrice exécutive de Siasa Place
– Elorm Ababio, activiste et influenceuse, Democracy Hub