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“Personne ne pensait qu’on s’en sortirait” : un migrant Guinéen abandonné dans le désert tunisien témoigne de l’épreuve vécue

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Ibrahim (prénom d’emprunt) a été arrêté à Sfax fin mai alors qu’il tentait de rejoindre une embarcation pour traverser la mer Méditerranée. Avec une cinquantaine d’autres Subsahariens, le Guinéen de 23 ans a été relâché dans le désert, à la frontière algérienne, sans vivres. Après plus d’une semaine de marche dans des conditions extrêmes, il est parvenu à rejoindre Sfax, puis Tunis. Il témoigne au micro d’infomigrants.

Ibrahim vit depuis presque deux ans en Tunisie où il travaille comme manœuvre sur des chantiers. Auparavant il avait migré en Libye, espérant pouvoir rejoindre l’Europe depuis les côtes de ce pays d’Afrique du Nord. Il n’a pas abandonné son rêve d’Europe.

“Fin mai, j’ai pris un bus avec un couple d’amis, guinéens comme moi, à la gare de Tunis pour rejoindre Sfax. On devait y retrouver un convoi prêt à partir pour faire la traversée jusqu’à Lampedusa. Ce sont des amis sur place qui m’avaient informé du départ.

On est parti à 23h30 de la gare de Tunis pour éviter les contrôles policiers et les arrestations dans les gares pendant la journée. Les chauffeurs de bus te disent qu’ils ont interdiction de vendre des billets aux Subsahariens mais ils le font quand même, ils augmentent juste les prix. Au lieu de payer le trajet 23 dinars, on a dû payer 40 dinars le billet. Le trajet a duré 4-5 heures, sans problème.

La ville de Sfax est un important lieu de départ des embarcations de migrants qui cherchent à gagner l’île italienne de Lampedusa. Durant les premiers mois de 2024, les départs depuis les côtes de Sfax ont enregistré une augmentation record avec plus de 21 000 personnes ayant quitté clandestinement le pays par ses frontières maritimes, selon la Garde nationale tunisienne.

“On n’osait pas parler car les policiers étaient très brutaux”

C’est devenu plus compliqué aux abords de Sfax. Les taxis refusent eux aussi de prendre les Subsahariens et ne veulent pas mettre le compteur. Dans la précipitation et à cause du risque, on a du payer un taxi 150 dinars, au lieu de 10 dinars la course, pour nous amener au Km10, à la sortie de la ville. On devait ensuite prendre un moto-taxi pour aller au Km24, au camp de migrants. Mais après à peine 10 minutes de marche, on a été arrêtés par la Garde nationale.

Victimes d’une véritable « chasse à l’homme » depuis le discours xénophobe de février 2023 du président Kaïs Saïed, les Subsahariens sont interdits de louer des appartements et de travailler. Des milliers d’exilés sont contraints de survivre dans des campements autour de la ville de Sfax, comme dans les oliveraies de la région d’El Amra. Les camps de migrants portent les noms des kilomètres indiqués le long de la route principale. Leurs habitants n’ont aucun accès aux besoins élémentaires d’eau, de nourriture et de sanitaires, et n’y reçoivent aucun soin. Régulièrement, les campements informels sont démantelés par la Garde nationale.

Les policiers nous font monter dans un minibus avec du grillage à la place des fenêtres et nous ont conduits au poste de police. Il y avait déjà 15 migrants dans les cellules. Certains étaient là depuis 10 jours.

On nous a obligés à laisser tous nos objets. J’ai dû donner mon téléphone, ma brosse à dents et mon argent (environ 125 dinars). On n’osait pas parler car ils étaient très brutaux et nous menaçaient. On n’a rien demandé.

En fin de matinée, on a rejoint un campement militaire, à Sfax. Il y avait beaucoup de monde, une cinquantaine de personnes, dont des migrants sortis de prison. C’était des hommes, il n’y avait que six femmes. Ils nous ont attaché les mains avec un lien en plastique avant de nous faire monter dans un grand bus pour rejoindre un nouveau campement militaire, à Kasserine.

Là-bas, ils nous ont séparés en petits groupes et nous ont emmenés dans des endroits différents à la frontière avec l’Algérie, dans le désert. Ils nous ont fouillés et nous ont détachés les mains. Les policiers nous criaient d’aller vers l’Algérie et ils nous frappaient avec leur matraque. Ils disaient « No Tunisia » et ils nous menaçaient de nous frapper et de nous tuer si on revenait. On est restés seuls sans rien, ni eau, ni nourriture, sans téléphone.

Depuis 2023, les autorités tunisiennes interpellent les Subsahariens dans la rue, les commerces, les appartements ou sur leur lieu de travail et les expulsent à la frontière, dans le désert vers la Libye ou l’Algérie, au mépris du droit international. Des ONG et des médias – dont InfoMigrants – documentent depuis des mois ces rafles et ces envois dans des zones désertiques. Ces expulsions s’accompagnent de brimades et de violences de la part des forces tunisiennes. Des centaines de personnes, dont des femmes et des enfants, sont mortes de soif dans ces zones désertiques, selon les humanitaires.

« Nous sommes restés soudés pour nous défendre »

Si c’est la troisième tentative d’Ibrahim pour traverser la Méditerranée, c’est la première fois qu’il est abandonné dans le désert par les autorités tunisiennes. Séparé des amis avec qui il était parti, le jeune homme de 23 ans se retrouve dans un groupe avec cinq autres Subsahariens.

Il y avait un homme dans notre groupe qui avait déjà été dans le désert et qui connaissait très bien la route pour revenir à Sfax. On n’avait pas d’autre choix que de le suivre. Mais il y a eu beaucoup de disputes sur le chemin. On avait beaucoup de craintes, personne ne pensait qu’on sortirait du désert et qu’on arriverait à Kasserine. Quand on est arrivés là-bas après trois jours de marche, on lui a fait confiance.

En tout, nous avons marché neuf jours, toujours la nuit pour éviter d’être repérés. C’est effrayant le désert. On fait de très grandes distances sans voir d’habitants. On se cachait la journée, on essayait de trouver des arbres pour se protéger du soleil car il faisait très chaud.

Certains habitants étaient gentils et nous donnaient à manger comme du pain et des croissants, ou des bidons d’eau. Parfois, on ne mangeait qu’un seul morceau de pain pendant plusieurs jours.

Mais d’autres appelaient la police ou nous menaçaient, surtout vers les grandes villes. Les bandits et les clochards nous agressaient et essayaient de nous voler. Pour se défendre, on restait soudés et on attendait la nuit, après 22 heures, pour rentrer dans les villes.

On était tous des jeunes, entre 20 et 30 ans, en bonne santé. Mais on a eu des blessures aux pieds, des brûlures et des douleurs à cause de la très longue marche.

Deux semaines en prison

À partir de Kasserine, on a emprunté une route cachée vers des rails, pour éviter de croiser la police.

Arrivés à Sfax, ils prennent des motos-taxis conduites par des Tunisiens qui les amènent vers les oliviers où se trouvent les camps de migrants par de petites routes discrètes.

Je suis resté un mois environ dans le camp du Km24, le temps que je contacte ma famille et qu’ils m’envoient de l’argent. Ils savaient que j’allais à Sfax et que je pouvais être laissé dans le désert si j’étais arrêté.

Ibrahim prend ensuite le train jusqu’à Tunis et descend avant la gare principale pour éviter les contrôles. Une fois dans la capitale, il regagne le logement dans lequel il est hébergé par des amis, en banlieue de la ville.

Il y a encore des départs depuis Sfax car des amis me disent qu’il y a des convois de prévu. Mais il y a beaucoup de contrôles en ce moment, je ne veux pas prendre de risques. Je ne prévois pas de traverser tout de suite, peut-être plus tard.

La situation est très stressante et compliquée. La Libye est mieux que la Tunisie car ici, quand on vous arrête pour séjour illégal, on vous met en prison avec des criminels alors que vous n’avez rien fait. J’ai été arrêté dans la rue et mis en prison pendant deux semaines. Ça m’a beaucoup marqué. »

Lisez l’article original ici

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