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Les diamants perdus de Sékou Touré

L’amitié se compare souvent à la pureté du diamant. Et cette pierre précieuse est une richesse que produit la Guinée en assez grande quantité. A l’époque de Sékou Touré, mort en 1984, la règle de gestion secrète des diamants était aussi simple que claire ; un tiers pour le bénéficiaire de la concession, un tiers pour le Trésor public et un tiers pour Monsieur le Président. Souffrant de la maladie du complot, le président guinéen avait comme unique confident son ami et dépositaire le roi Hassan II.

Et voici que dans la nuit du 26 mars 1984, Ahmed Sékou Touré meurt dans un hôpital de Cleveland dans l’Ohio, aux Etats-Unis, où il fut transféré en urgence à la suite d’un malaise cardiaque jugé grave par les médecins marocains dépêchés à son chevet par son ami le roi du Maroc.

Pour la couverture de l’évènement, El Moudjahid m’envoie à Conakry que je découvre pour la première fois. Au-delà de la couverture des funérailles, j’avais en idée de creuser sur l’avenir de ce pays dans les proche et moyen termes et anticiper les changements qui pourraient intervenir sur la scène politique après 22 ans de régime musclé. Et par un pur hasard, ma route sera parsemée de diamants.

Conakry est une ville africaine enveloppée d’un climat humide, verdoyante et des gens très peu affectés par la disparition de l’homme fort. La fabuleuse richesse de ce pays gorgé d’eau avec ses 1.300 rivières et fleuves, son or, ses pierres précieuses, sa bauxite et que sais-je encore n’était pas visible dans le décor urbain aux immeubles délabrés. Les billets de banque sentaient la moisissure et il en fallait une liasse pour un plat de spaghetti au restaurant «L’Escale de Guinée». Mon premier choc fut la visite du sinistre camp Boiro à l’extrémité de la ville où était enfermé un millier de prisonniers politiques survivants, hagards et cadavériques, libérés à la faveur du coup de force militaire mené par Lansana Comté. Ce camp qui ressemblait à une cité d’urgence était une suite de cellules collées les unes aux autres et couvertes de tôles ondulées qui rendaient l’atmosphère irrespirable sous le soleil accablant de la saison sèche. A l’entrée, je vois une fillette, bien mise, d’une douzaine d’année. Son père avait été victime d’une énième purge. Elle tient une pancarte avec un message à couper le souffle : « Je cherche mon papa. Il était commandant ». On me dirige vers la cellule où mourut en mars 1977, Diallo Telli, Secrétaire général de l’Organisation de l’Unité Africaine, accusé de complot contre le chef de l’Etat. Le prisonnier avait laissé de nombreux messages grattés sur le mur clamant son innocence. A bout de force, couché sur le sol nu, Diallo Telli laissa un mot d’adieu à sa femme. « À ma chère et bien-aimée épouse, ce mot que j’écris sur le mur de ma sombre cellule ne te parviendra, sans doute jamais. C’est la fin. Je meurs. Mon amour pour toi m’a donné la force de survivre jusqu’à ce jour.»  Dans une cellule collective qui devait recevoir une vingtaine de prisonniers, les murs étaient embellis de très jolies fresques qui couvraient jusqu’au plafond. C’étaient de scènes familiales, des femmes aux belles coiffures, des enfants, des animaux. Les couleurs monochromes me rappelaient les fresques algériennes du Tassili. De l’ocre rouge foncé jusqu’aux teintes claires. Mon guide me dit sur un ton froid et cynique : « C’est du caca. Ils n’avaient pas de pinceaux. Juste les doigts. Les diarrhées étaient leur matière première pour exprimer leur talent artistique.»

Plus loin, sur une dalle en pierre qui servait de table d’ablutions aux morts, je note un monticule de registres destinés à la poubelle. Les documents concernaient les interminables listes de prisonniers depuis la folie de Sékou Touré. Ma plus grosse surprise fut la révélation d’un haut gradé de l’armée et membre du nouveau régime.

«Sékou, me dit-il, est parti avec ses secrets.» L’officier venait juste de se remettre d’une crise de paludisme. Il avait les traits tirés conduisant nerveusement son 4×4 à travers les rues de Conakry. Je laisse passer un moment et je reprends le fil par une simple remarque : «22 ans de pouvoir absolu, les secrets doivent être assez lourds.»

«Je parle du trésor de diamants confié à la garde de son ami le Roi et dont nous sommes certains qu’il ne retournera jamais en Guinée», me dit-il.

Il est vrai que l’amitié peut avoir l’éclat du diamant.

Par Rachid Lourdjane, in El Moujahid

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