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Kaba, sans-papiers guinéen au Portugal : « J’étais parti pour réaliser mon rêve d’être médecin, mais c’est tout le contraire qui s’est passé »

Kaba est un jeune Guinéen de 28 ans, sans-papiers, installé dans les environs de Viseu, dans le nord du Portugal. Ancien infirmier dans son pays, il n’a jamais pu reprendre ses études de médecine. Il survit aujourd’hui avec un maigre salaire en tant qu’homme de ménage à domicile et dans les entreprises. Kaba craint désormais d’être arrêté par la police et renvoyé dans son pays. Témoignage.

Kaba*, originaire de Conakry, est arrivé à Porto, au Portugal en septembre 2022, avant de s’installer dans les environs de Viseu, une ville de 100 000 habitants située à 120 km. Parti de Guinée début 2022, il a rejoint Tunis pour y suivre des études de médecine, avant de quitter le pays trois mois plus tard après s’être fait agresser. Il arrive en Europe après avoir traversé la Méditerranée. Kaba remontera l’Italie, traversera la France et l’Espagne avant d’atteindre le Portugal.

« Je suis parti plein d’espoir après avoir pu récupérer des fonds nécessaires pour démarrer mes études en Tunisie, avec l’aide financière de ma famille. J’étais infirmier à Conakry, et je voulais devenir médecin, c’était mon rêve d’enfant. J’ai pu avoir une place à la faculté de médecine de Tunis, c’était une porte de sortie pour m’offrir un avenir meilleur.

Mais quelques mois après mon arrivée, on m’a agressé, volé mon argent et tout ce que j’avais. Je ne pouvais plus payer mon loyer ni à manger. Je me suis retrouvé à la rue. J’étais traumatisé, j’étais perdu.

J’ai erré dans les rues quelques jours, et j’ai reçu l’aide de quelques Guinéens installés à Tunis. Ils m’ont demandé ce que je voulais faire, et je leur ai dit : ‘Je veux fuir au plus vite mais je ne peux pas rentrer chez moi car ce serait une énorme déception pour ma famille’. Je n’avais plus que l’Europe en tête.

J’ai senti une belle solidarité de certains de mes compatriotes, qui ont pu réunir une somme d’argent et m’aider à me mettre en contact avec un passeur.

« La traversée de la mer, c’est la roulette russe »

J’avais la peur au ventre, car je déteste la mer, les grandes étendues d’eau, et j’ai eu peur de me noyer. Mais je n’avais pas le choix, je ne pouvais plus faire marche arrière et je voulais tenter le coup en Europe pour essayer d’avoir un meilleur destin.

On a pris une embarcation de fortune, on a subi un temps très difficile, et j’ai prié, tellement prié durant la traversée, une traversée qui m’a parue infinie. Je ne souhaite ça à personne. Vivre ce genre d’expérience, c’est la roulette russe, et si on chavire, c’est terminé pour nous. Dieu merci, nous sommes arrivés en Italie, et on a été recueillis par les garde-côtes Italiens. On a débarqué à Lampedusa, sain et sauf, mais complètement perdus car on ne savait pas ce qui nous attendait. J’ai foulé le sol européen pour la première fois de ma vie un jeudi de mai, tôt le matin.

Quelques jours après, j’ai été transféré sur le continent, et je suis arrivé en Calabre [sud de l’Italie, ndlr]. J’ai été questionné et pris en charge par les autorités.

Un soir, avec d’autres Guinéens, on est parti à pied, vers le nord du pays. On a passé environ 10 jours sur les routes, à faire du stop, à monter dans des trains sans se faire arrêter par la police. On est arrivé à Milan et on a essayé de trouver de quoi gagner un peu d’argent. Faire la plonge, n’importe quoi, mais impossible de trouver une activité.

C’est là que j’ai rencontré un Sénégalais qui m’a dit qu’il allait en Espagne car il avait un contact là-bas qui allait l’aider à bosser dans la plonge dans un restaurant, et qu’il cherchait des gens. Je suis parti avec lui un soir. On a traversé le sud de la France dans le coffre d’un véhicule, on a eu beaucoup de chance. On est arrivé à Barcelone et mon ami a vite réalisé qu’il s’était fait avoir. Il n’y avait pas de travail, et son ami lui avait menti.

On s’est donc retrouvé à vendre des objets pour manger, et à dormir dans la rue. Je ne voulais pas rester ici. En septembre, je suis parti, en bus, jusqu’au Portugal, et Porto.

« Le silence, c’est votre liberté »

Je suis arrivé à Porto, et je voulais trouver de quoi gagner ma vie au plus vite. J’ai été livreur pour une pizzeria, mais aussi j’ai travaillé dans le bâtiment en utilisant les papiers d’un ami sénégalais que j’ai rencontré quelques jours après mon arrivée. Je disais à ma famille que tout allait bien, mais je n’étais pas heureux. Je devais me battre, et je gagnais environ 400 euros par mois.

J’ai eu un jour le contact d’une personne qui m’a dit que je pouvais gagner plus d’argent et qu’il pouvait m’aider à trouver un travail. J’ai foncé, et j’ai gagné un peu plus d’argent, je voulais m’en sortir. J’ai donc commencé dans Porto et dans les villes environnantes à bosser dans le secteur du nettoyage à domicile et industriel. Quelqu’un venait nous chercher à un point de rencontre différent chaque jour, pour ne pas nous faire repérer, et nous étions répartis dans des maisons de retraite, ou bien dans des usines de la zone. Le responsable nous disait toujours : ‘Ne parlez pas aux travailleurs des lieux où on vous envoient, le silence est votre liberté’. On était une dizaine à partir dans cette petite fourgonnette blanche chaque matin, et on bossait entre 10 et 12 heures par jour.

Le secteur du nettoyage – industriel, et chez des particuliers – est en grand manque de main-d’œuvre au Portugal. Les entreprises portugaises estiment qu’il manque environ 15 000 personnes dans ce domaine. Un nombre de plus en plus important de petites et moyennes entreprises a donc recours à des travailleurs migrants, dont une partie est dans l’illégalité. « Le nombre de cas d’exploitations d’êtres humains est en constante augmentation dans le secteur, surtout après la pandémie du Covid-19 », précise à InfoMigrants une source du ministère du Travail et de la Solidarité sociale.

Un jour, un ami m’a parlé de partir dans une autre ville, Viseu, située à un heure et demi de Porto. Il bossait aussi dans le nettoyage avec une meilleure paie. Passer de 400 à 700 euros par mois, c’est quand même un peu mieux, et j’ai dit oui tout de suite. Je me suis installé dans les environs de la ville en avril 2023, avec une famille de migrants de Guinée-Bissau, qui me font passer pour un cousin de la famille pour qu’on n’attire pas l’attention. Le Portugal est un pays accueillant, mais de temps en temps, on ressent du racisme.

« Je me sens constamment fatigué »

Je comprends bien mieux la langue dorénavant, et une à deux fois par semaine, j’entends des mauvaises choses sur les migrants. Mes amis de Guinée-Bissau, qui vivent ici depuis plus de dix ans, me disent que le racisme ne cesse de monter, avec en parallèle le discours du parti d’extrême-droite Chega et les élections à venir.

Le 10 mars prochain, les Portugais sont appelés aux urnes pour des élections législatives, programmées après la démission du premier ministre Antonio Costa au mois de novembre dernier suite à l’implication de certains de ses proches dans un scandale de corruption lié au marché d’exploration du lithium dans le pays. Les débats battent leur plein, et le parti d’extrême-droite Chega (Assez ! en portugais) monte en puissance depuis quelques années, avec 12% de votes lors des présidentielles de 2021 et des intentions de 20% à quelques semaines du suffrage. Son leader, André Ventura, anti-migrants et populiste, parle de l’immigration comme « la raison, avec la corruption, de la décadence de notre pays. Les Gitans et les Africains ont pris d’assaut notre territoire, et il faut régler ce problème ».

Mon travail est très pénible. Je me sens constamment fatigué, mais je ne peux pas me plaindre, car je dois survivre, et avancer. On est exploité, on me donne très peu de masques de protection, j’ai des soucis respiratoires et de peau à cause de certains produits qu’on utilise sur les chantiers. Mais je ne peux rien dire, je suis en situation irrégulière et j’ai peur de me faire arrêter et renvoyer au pays. Je reçois de l’aide d’une association, mais ce n’est que le début, et je ne suis même pas sûr de pouvoir obtenir les papiers un jour. Je rêvais d’être médecin, de faire mes études et de rentrer en Guinée. Mais je suis au Portugal, pauvre, et pas heureux. J’étais parti pour réaliser mon rêve, mais tout le contraire qui s’est passé ».

Par infomigrants

Lire l’article original ici

*Le prénom a été changé

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