Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, la Guinée vacille au bord de l’effondrement politique et social. Les paroles du parlementaire sénégalais Guy Marius Sagna, « Tous les Guinéens sont en sursis », résonnent avec une vérité glaçante. La transition actuelle du pays, marquée par des décès, une répression accrue et une incertitude politique grandissante, soulève des questions pressantes sur le rôle de la communauté internationale dans l’orientation de la Guinée vers la stabilité et la justice.
La crise en Guinée ne constitue pas uniquement un problème national, mais représente également une préoccupation régionale et mondiale. Alors que le gouvernement militaire peine à tenir ses promesses de transition crédible vers un régime civil, le risque d’une instabilité prolongée se profile dangereusement. La réponse de la communauté internationale à ce moment précaire déterminera si la Guinée émerge plus forte ou sombre davantage dans le chaos.
Le chemin périlleux de la transition politique
Depuis le renversement du président Alpha Condé en 2021, la transition guinéenne a été entachée de retards, de répression et d’un manque inquiétant de responsabilité. La justification avancée par la junte militaire pour prolonger son règne—la nécessité de stabiliser la nation—s’est rapidement effritée face à des preuves croissantes de violations des droits humains et d’inertie politique. Les manifestations exigeant un retour à un régime civil ont souvent été réprimées avec une violence létale, laissant de nombreuses victimes et un profond désenchantement parmi la population.
L’annonce récente de la junte selon laquelle la transition vers un régime démocratique s’étendra au-delà de l’échéance initialement prévue de décembre 2023 a intensifié la frustration des groupes d’opposition et de la société civile. Un porte-parole des autorités a déclaré que les conditions nécessaires à la fin de la période transitoire n’étaient pas encore réunies. Cette prolongation a indigné des organisations telles que les Forces Vives, une coalition de partis d’opposition, d’organisations de la société civile et d’activistes, qui ont annoncé qu’elles ne reconnaîtraient plus la légitimité de la junte après cette date. Les appels à des manifestations, y compris la mobilisation de la diaspora guinéenne à Paris, illustrent ce mécontentement croissant.
La réponse du gouvernement à la dissidence s’est durcie. Le 24 octobre, plusieurs dirigeants politiques de premier plan ont été arrêtés et interrogés pour leur implication ou leur soutien aux manifestations anti-junte organisées par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC). Ces démonstrations, réclamant un retour rapide à un gouvernement civil et la libération des prisonniers politiques, ont causé la mort de trois personnes, 20 blessures par balles et de nombreuses arrestations. Les militants des droits de l’homme et les groupes d’opposition ont dénoncé ces actions comme faisant partie d’une stratégie plus large visant à museler la dissidence.
Un climat de peur et de répression
La transition en Guinée est non seulement au point mort, mais aussi de plus en plus marquée par un climat de peur et de répression. Les rapports sur des enlèvements, le renforcement des mesures de sécurité et la restriction des libertés créent une atmosphère d’inquiétude généralisée dans le pays. À Conakry, une peur palpable règne, les responsables militaires niant les rumeurs de coups de feu, tandis que la présence accrue de chars et de mesures sécuritaires renforcées à l’entrée de Kaloum trahit une nation en alerte.
Le rôle de la communauté internationale
Alors que la crise guinéenne se déroule, la communauté internationale doit avancer avec précaution. L’histoire de l’intervention internationale dans des États fragiles est jalonnée d’exemples d’actions bien intentionnées qui ont exacerbé les problèmes existants. La Guinée ne peut pas se permettre de devenir une nouvelle victime d’un engagement mal conçu ou superficiel
Les enjeux pour la guinée et la région (suite)
De plus, l’échec à stabiliser la Guinée risque de provoquer une crise humanitaire, marquée par une augmentation de la migration et des conflits transfrontaliers potentiels. La communauté internationale ne peut se permettre d’ignorer ces conséquences. Les sanctions imposées par la CommunautéÉconomique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), notamment contre les membres de la junte, sont un pas dans la bonne direction. Cependant, ces mesures doivent être accompagnées d’un dialogue structuré et d’un soutien ciblé pour renforcer les institutions démocratiques de la Guinée.
Un appel à l’action
La situation en Guinée est un avertissement à la fois pour ses dirigeants et pour la communauté internationale. La junte doit comprendre que sa légitimité repose non pas sur la force, mais sur sa capacitéà honorer ses engagements en matière de transition crédible vers un régime civil. La répression des voix dissidentes ne fait que miner davantage la confiance du peuple et accroître les tensions.
Pour sa part, la communauté internationale doit éviter une approche simpliste consistant à se limiter à des condamnations ou à des sanctions isolées. Au lieu de cela, elle doit adopter une stratégie nuancée combinant pression diplomatique, incitations économiques et assistance technique pour garantir une transition réussie.
Le temps presse. Le coût de l’inaction ou d’un mauvais calcul est bien trop élevé, non seulement pour la Guinée, mais aussi pour l’ensemble de la région ouest-africaine. Alors que le monde observe, il est essentiel de se rappeler que les vies et les aspirations de millions de Guinéens sont en jeu. Leur avenir dépend de la capacité collective de leurs dirigeants et de la communauté internationale à transformer ce moment critique en une opportunité de paix, de stabilité et de justice.
La Guinée ne peut pas continuer à vivre dans le doute et l’incertitude. Les Guinéens méritent un avenir qui dépasse la survie quotidienne et leur offre des perspectives réelles de développement et de prospérité. Il appartient à nous tous de nous assurer que ce temps emprunté est transformé en un avenir fondé sur la stabilité, l’espoir et le progrès.
Par Thierno Mohamadou Diallo, enseignant-chercheur en Relations Internationales et en Anglais à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia-Conakry (UGLC-SC), doctorant à l’Université de Sierra Leone.