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Elles s’appelaient « Fati » et « Marie » : les corps sans vie pris en photo dans le désert libyen identifiés

La photo de leurs cadavres avaient fait le tour des réseaux sociaux. La jeune femme et sa petite fille retrouvées mortes de soif dans le désert la semaine dernière ont été identifiées par le compte Twitter Refugees in Libya. La mère et son enfant vivaient depuis plusieurs années en Tunisie, avant d’être raflées par les autorités tunisiennes.

« La femme sans visage et sa fille jetées dans le désert il y a quelques jours n’étaient pas seulement des migrantes […] elles avaient une histoire, une vie ». Une semaine après la publication d’une photo, difficilement soutenable, des corps sans vie d’une femme et d’une enfant dans le désert tunisien, le compte Twitter Refugees in Libya a pu les identifier.

La petite fille avait six ans, elle s’appelait Marie. Sa mère, Fati Dosso, était âgée de 30 ans. Orpheline, elle avait quitté Man, son village du centre-ouest de la Côte d’Ivoire, pour la Libye il y a plusieurs années, afin d’y gagner un peu mieux sa vie.

Fati était mariée à Bengue Nyimbilo Crepin, âgé de 30 ans lui aussi, et originaire du Cameroun. Surnommé Pato, il est le père de la petite Marie. Refugees in Libya « ignore si le couple s’est rencontré dans le pays ». Mais il sait que plusieurs fois ces dernières années, ils ont tenté ensemble de traverser la Méditerranée. Sans succès. Fati et Pato ont donc quitté la Libye et se sont installés en Tunisie, pour y élever leur petite fille.

La date d’arrivée de la famille dans le pays n’est pas connue. Refugees in Libya peut affirmer en revanche que Pato, Fati et Marie ont été expulsés ensemble de leur domicile, et abandonnés dans le désert à la frontière libyenne. Combien de temps la famille a-t-elle erré dans le désert ? Refugees in Libya continue de chercher des réponses.

Si les corps de l’enfant et de sa mère ont finalement été retrouvés par les autorités libyennes, Refugees in Libya reste toujours sans nouvelles du père de famille. « On ne peut que supposer qu’il est allé chercher de l’eau, avant de perdre leur trace », avance le compte. À l’heure actuelle, « Pato est toujours porté disparu, ou peut-être a-t-il été secouru par les gardes-frontières libyens », suppose-t-il. « Je n’arrive pas non plus à joindre sa famille, déplore le porte-parole du compte, David Yambio, à InfoMigrants. Depuis hier, j’appelle le numéro qui m’a été fourni, mais ça ne répond pas ».

Hier, les garde-frontières libyens ont publié une nouvelle vidéo, relayée par Refugees in Libya. On y voit le corps d’un homme et à côté, celui d’un enfant. Tous les deux gisent l’un contre l’autre, sur le sable, au beau milieu du désert. Deux autres personnes, mortes, figurent aussi dans la vidéo. « Aujourd’hui c’est encore un père sans visage, son fils et deux autres compagnons dont la vie a été injustement volée », commente le compte.

Mortes de déshydratation

Depuis plus de deux semaines maintenant, des images de migrants subsahariens abandonnés en plein désert, à bout de force sous un soleil de plomb, sont diffusées sur les réseaux sociaux. Ces personnes ont été abandonnées là par les autorités tunisiennes, après des rafles opérées dans les villes de Sfax, Ben Guardane et d’autres villes du pays. En ce moment même, des centaines d’exilés attendent toujours de l’aide. Mais pour certains, il était trop tard.

Lundi 24 juillet, le ministère de l’Intérieur libyen a annoncé avoir découvert cinq nouveaux corps de migrants à la frontière entre la Libye et la Tunisie. Les personnes sont mortes de déshydratation après avoir passé plusieurs jours dans une zone désertique sans eau, ni nourriture.

Samedi 22 juillet, des migrants, tous originaires d’Afrique subsaharienne, ont été filmés par les garde-frontières libyens, marchant dans le désert, au milieu de nulle part. On y voit notamment une femme s’effondrer aux pieds d’un soldat, la bouche ouverte, et supplier d’avoir un peu d’eau. Une semaine plus tôt, les journalistes de l’AFP et d’Al-Jazeera avaient filmé des centaines de migrants à bout de force allongés sous le soleil dans la région d’Al Assah. Pris en charge par les Libyens, ils ont été 360 à être mis à l’abri.

Peu de temps après les premières expulsions, la rédaction d’InfoMigrants était entrée en contact avec des migrants, dans la zone frontalière de Ras Jdir, entre le 11 et le 15 juillet. L’un d’eux, Kelvin, racontait avoir été arrêté chez lui, le 11 juillet, à Sfax, avant d’être abandonné à la frontière libyenne. Épuisé, réclamant de « l’eau pour ne pas mourir », le Nigérian et son groupe avaient trouvé refuge sous un arbre pour se protéger du soleil. Il expliquait que ni les Libyens, ni les Tunisiens – pourtant à quelques mètres d’eux – ne leur apportaient des vivres. À ce jour, InfoMigrants reste sans nouvelles de Kelvin et son groupe.

Certains exilés ont pu, en revanche, être secourus. Lundi, le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) a apporté « de l’eau, du jus de fruit et des biscuits », à près de 170 personnes dans un hangar en Libye. Elles avaient été récupérées la veille par les autorités libyennes à Al Assah, a indiqué l’organisation sur les réseaux sociaux.

Dimanche, l’Organisation internationale des migrations (OIM), le Croissant-Rouge libyen et l’Unicef Libye ont distribué de l’eau et de la nourriture à quelque 400 migrants bloqués à la frontière. Une trentaine de personnes, dont trois femmes enceintes, ont également reçu de l’aide médicale.

Des expulsions collectives condamnées par l’ONU

Les agissements des autorités tunisiennes ont été condamnés à de multiples reprises ces derniers jours. Dans un rapport publié mercredi 19 juillet, Human Rights Watch (HRW) dénonce « des expulsions collectives », et « des évictions forcées » menées en Tunisie. L’ONG a notamment récolté les témoignages de sept personnes faisant partie d’un groupe de « 1 200 Africains noirs expulsés et transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec la Libye et l’Algérie début juillet ».

 

Le 18 juillet, des experts des Nations unies ont appelé le gouvernement tunisien à stopper les refoulements illégaux d’exilés subsahariens, pratique illégal au regard du droit international. Dans le même communiqué, l’ONU exhorte par ailleurs le gouvernement tunisien à prendre des mesures immédiates « pour mettre fin aux discours de haine raciste dans le pays ». « Nous sommes très préoccupés par les informations faisant état de discours de haine raciste dans le pays, et de violences à l’encontre de migrants à Sfax, y compris de la part d’agents des forces de l’ordre ». « Les discours de haine raciale qui constituent une incitation à la discrimination ont des conséquences réelles, y compris la violence », ont-ils rappelé.

Ces condamnations à l’internationale, et la multitude d’images fournies par différents médias et ONG sur place, n’ont pas eu d’incidence sur la relation qu’entretient l’Union européenne avec le président tunisien Kaïs Saïed. Dimanche 16 juillet, Tunis et Bruxelles ont signé – poignées de mains à l’appui – un « partenariat stratégique » sur l’immigration, en présence notamment de la Première ministre d’extrême-droite Giorgia Meloni. Lors de cette réunion, pas un mot n’a été prononcé sur la situation dramatique que connaissent les migrants en Tunisie, pourtant largement documentée.

David Yambio, lui, reconnaît avoir du mal en ce moment à trouver le sommeil. « Depuis que je suis tombé sur cette photo [de Fati et Marie], je n’ai pas pu dormir », confie-t-il sur son compte Twitter. Ce « crime » est « commis contre des gens qui cherchent une meilleure vie, une deuxième chance ». « Comment pouvons-nous détourner le regard ? ».

Infomigrants

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