Les questions que soulève la grâce présidentielle récemment accordée à Dadis Camara débordent du cadre juridique formel pour atteindre le cœur de la vie politique. Cet acte désinvolte nous pousse à nous interroger de nouveau sur la curieuse nature du régime de Mamadi Doumbouya. Cet homme nous avait juré ses grands dieux que la justice serait la boussole de son action. Une boussole qui a perdu le nord avant même que le vaisseau ne jette l’ancre si l’on se fie aux nombreuses morts, disparitions et arrestations arbitraires qui jalonnent ses trois ans de règne !
En trois ans, notre jeune légionnaire a fait siens tous les petits vices des vieux tyrans. Et voilà que, pris d’on ne sait quelle crise d’humanisme, il gracie Dadis Camara, condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité. En général, les grâces présidentielles tombent à l’occasion des grandes commémorations et portent sur plusieurs personnes à la fois. Celle-ci arrive à une date banale, au bon vouloir du prince et ne concerne qu’un seul prisonnier. Dadis Camara sort donc en laissant au gnouf ses coaccusés Thiegboro Camara, Toumba Diakité, Claude Pivi et Marcel Guilavogui qui, tous souffrent de maladies graves (on dit même que Claude Pivi est à l’article de la mort).
Les Guinéens qui connaissent mieux que quiconque le cynisme démoniaque de leurs dirigeants ont tout de suite compris les raisons de cette générosité ségrégative. Les élections approchent à grand pas et maintenant, c’est sûr, Mamadi Doumbouya sera candidat en violation flagrante de la charte de la Transition sur laquelle il a juré, en engageant son honneur de soldat. Et Dadis Camara représente un atout électoral majeur car il reste, en dépit des massacres du 28 Septembre, très populaire en Guinée Forestière, sa région d’origine. Sa libération n’a donc rien de gratuit. C’est un calcul politique.
Il s’agit moins de gracier un détenu que de s’acheter les faveurs électorales de nos compatriotes de la Forêt. Seulement ceux-ci ne se laisseront pas acheter. Je les connais. J’ai passé mon adolescence à N’Zérékoré. Je ne suis pas un Forestier de naissance mais je suis un Forestier dans l’âme. Je connais le sérieux de ces gens-là. Je connais leur sens très élevé de la dignité. Je sais qu’ils ne se laisseront pas acheter par de vulgaires trafiquants de bulletins de vote.
Décidément, les Guinéens sont fâchés avec cette belle notion de justice ! Elle n’est pas venue au temps de Sékou Touré, de Lansana Conté et consorts et d’évidence, ce n’est pas sous la férule de ce putschiste-là qu’elle viendra. Ils savent que la terreur qu’ils ont connue dans les années 70 est de retour et que les questions qui leur brûlent les lèvres resteront à jamais sans réponse. Comment sont morts le Général Sadiba Koulibaly et le Colonel Célestin Bilivogui ? Où se trouvent Foninké Mengué, Billo Bah, Saadou Nimaga et Habib Marouane ? Vivent-ils encore ou sont-ils déjà morts ? De combien d’années de prison écopera Aliou Bah, le président du Model (Mouvement Démocratique Libéral) au terme de la mascarade de procès en appel dont il est l’objet depuis le 26 mars dernier ? Pourquoi les anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé qui croupissent en prison depuis plus de trois ans et qui, tous, ont du mal à tenir debout ne bénéficient-ils d’aucune faveur même pas celle d’un procès en bonne et due forme ? Une garde à vue de trois ans, où a-t-on vu ça ?
Mieux vaut encore l’enfer que la justice à la Mamadi Doumbouya !
Par Tierno Monénembo