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« Beaucoup de gens pleuraient » : Ibrahim, migrant Guinéen, dépeint le comportement violent des garde-côtes tunisiens

Ibrahim (prénom modifié) a tenté, pour la troisième fois, de traverser la Méditerranée la semaine dernière pour rejoindre l’île italienne de Lampedusa depuis la Tunisie. Le Guinéen d’une vingtaine d’années raconte à Infosmigrants la nouvelle pratique des garde-côtes tunisiens lors d’une interception en mer : confisquer les canots et forcer les migrants à rejoindre le rivage à la nage. Une technique dangereuse qui peut provoquer des drames. Témoignage.

« La semaine dernière, j’ai tenté de rejoindre les côtes italiennes en prenant la mer. Avec une quarantaine de personnes, dont des femmes et des enfants, on est partis des champs d’oliviers vers 22h pour atteindre la plage, qui se trouve à environ quatre kilomètres de notre camp.

Des milliers de migrants ont été chassés du centre-ville de Sfax (centre-est de la Tunisie) l’an dernier et se sont installés à quelques kilomètres de là, dans les champs d’oliviers vers El-Amra. Des immenses campements, faits d’abris en plastique, ont été montés le long de la route. Les conditions de vie y sont très précaires entre violences et problèmes de santé.

On a dû marcher deux heures, en pleine nuit, et transporter nous-mêmes le matériel nécessaire à la traversée : le moteur, le canot, les chambres à air [lors de la traversée de la Méditerranée, certains migrants sont équipés de chambres à air pour ne pas couler en cas d’accident, ndlr] et les bidons d’essence.

Avant, c’étaient les passeurs qui s’occupaient de ça. Mais ils ne vont plus au bord de l’eau car ils craignent d’être interpellés par la police lors du lancement [terme utilisé par les exilés pour désigner la mise à l’eau de l’embarcation, ndlr]. Alors ils déposent le bateau quelques jours avant dans le camp et c’est aux migrants de le ramener sur la plage.

Un groupe de sept personnes, munies de machettes, nous ont escortés jusqu’à la mer. Souvent, les migrants sont violentés sur la route par d’autres Subsahariens qui leur volent leur bateau, pour leur propre traversée ou pour la revente. Alors, c’est mieux d’être ‘protégé’ en cas d’agressions. L’escorte, ce sont des amis, des personnes de confiance.

« Beaucoup de gens pleuraient »

Vers minuit et demi, nous avons pris la mer. Mais après deux heures de route, des garde-côtes sont venus vers nous, à bord de deux jet-skis. Ils ont tourné autour de notre canot pour provoquer des vagues. Puis, ils nous ont demandé de couper le moteur, et de le leur donner.

Au départ, on a refusé car on sait que certains garde-côtes confisquent les moteurs et laissent les exilés dériver plusieurs heures.

Les agents nous ont assuré qu’ils allaient nous tracter jusqu’au port. Alors, après plusieurs minutes de discussion, on a accepté de leur remettre le moteur et les bidons d’essence. On n’avait pas vraiment le choix de toute façon, c’était ça ou ils continuaient de faire des vagues, et on risquait de tomber à l’eau.

Un bateau de la Marine est arrivé. Il a tracté notre embarcation vers le rivage. Tout à coup, les garde-côtes se sont arrêtés en mer et nous ont dit de descendre du canot. On voyait le rivage au loin. L’eau n’était pas profonde, elle arrivait au niveau de mon ventre.

Ils nous ont forcés à nager. Certains migrants ne savaient pas nager.

Tout le monde avait peur. Beaucoup de gens pleuraient. Les femmes disaient qu’elles ne pouvaient pas aller dans la mer, de nuit, avec leurs enfants sur le dos.

Mais, encore une fois, on n’avait pas le choix. Et puis, on s’est dit : c’est quand même mieux que d’être envoyé dans le désert.

Depuis l’été dernier, les migrants sont interpellés dans la rue, les commerces, leurs appartements ou sur leur lieu de travail et sont expulsés dans le désert, près de la frontière avec l’Algérie ou avec la Libye. Ils sont abandonnés au milieu de nulle part, sans aide. Les femmes et les enfants ne sont pas épargnés.

Lorsque les exilés sont interceptés en mer, ils sont aussi systématiquement expulsés, dans des régions souvent désertiques, comme l’avait confirmé en avril à InfoMigrants un officiel sous couvert de l’anonymat.

« Le comportement des garde-côtes tunisiens est de plus en plus violent »

Les hommes sont descendus en premier, et on a aidé les femmes. Les Tunisiens sont partis avec le bateau, nous laissant là, livrés à nous-mêmes.

Pendant deux heures, on a marché dans l’eau jusqu’à la côte. On s’est divisé en deux groupes et on s’est tous tenu la main.

À certains endroits, l’eau était profonde. Nous n’avions plus pied. Ceux qui savaient nager ont aidé les autres. Heureusement que nous avions des chambres à air en guise de gilets de sauvetage.

On est tous arrivés sains et saufs sur la plage. Le jour était en train de se lever. Il a fallu à nouveau marcher quatre kilomètres pour rejoindre notre camp, sous les oliviers. Alors qu’on était trempés…

Le comportement des garde-côtes tunisiens est de plus en plus violent : ils arrachaient déjà les moteurs, faisaient des vagues, mais désormais ils lancent aussi des grenades lacrymogènes sur les plages au moment du départ… et abandonnent les gens dans l’eau. C’est la première fois, en trois tentatives, que je vis ça. »

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