Ce professeur hors-classe évoluant en France est très attentif à la marche du pays. En bon patriote, il analyse, décrypte, recadre et enrichit le débat de fond.
Votre semainier est allé à la rencontre de cet homme qui a «coutume de dire que gouverner, c’est savoir choisir avec qui faire équipe afin d’accomplir sa mission » pour qu’il donne son avis sur ce que c’est qu’un régime de transition. Et quel comportement devrait adopter les femmes et les hommes appelés à occuper désormais un poste de responsabilité dans ce pays.
Le Populaire : Vous qui suivez la situation politique guinéenne depuis près de deux décennies, dites-nous ce que devrait être un gouvernement de transition ?
Lamarana-Petty Diallo : Mes premières analyses de la situation guinéenne remontent effectivement à près de deux décennies, c’est-à-dire en 2006. Elles sont consécutives aux manifestations estudiantines de l’époque. Je me souviens encore du titre « La Guinée, une et indivisible » qui m’avait révélé au public guinéen et étranger. Je le dis avec modestie tout en réaffirmant ma reconnaissance à mes lecteurs sans lesquels je n’aurai pu avoir une telle longévité dans mes publications, analyses, réactions et avis sur la situation politique de notre pays.
Pour en venir au gouvernement de transition et ce qu’il doit être, je dirais que les avis sont divers quant à sa nature, sa durée et sa composition. En tout état de cause, disons que le réalisme et l’objectivité doivent primer pour toute réponse à une telle question. Avant tout, notre pays a une histoire sinon singulière, tout au moins particulière. Nous avons connu beaucoup de gouvernements de transition. Déjà en 1991, le Conseil transitoire de redressement national (Ctrn) avait remplacé le Comité militaire de redressement national (Cmrn), définit la durée de la transition, élaboré la charte des partis politiques, des élections législatives et présidentielles. Puis, en 2007, le gouvernement de consensus n’était pas moins transitoire. En 2008, une autre transition à deux visages voit le jour sous le Comité national de la démocratie et du développement (Cndd), version Dadis et 2010 avec la version Konaté. Tous ces gouvernements ont un point commun : la déception dans la manière de mener le processus et l’échec en termes de résultats. Les raisons d’une telle issue tiennent avant tout au choix des hommes et des femmes qui ont mené ces différentes transitions. J’ai coutume de dire que gouverner, c’est savoir choisir avec qui faire équipe afin d’accomplir sa mission. Cette fois-ci, le gouvernement de transition doit être un gouvernement de rupture et non de changement. Je dis bien un gouvernement de rupture. Cette fois-ci, il s’agit d’opérer une rupture à tous les niveaux : dans les choix des gouvernants, le mode de gouvernance, la mission des ministres, l’issue de la transition etc. En effet, on ne saurait procéder à une rupture de mode de gouvernance si on ne mettait fin aux pratiques du passé basées sur le clientélisme, l’ethnocentrisme, le corporatisme, la gabegie et particulièrement la corruption. Les Guinéens ne demandent pas que des hommes nouveaux, comme cela a été galvaudé sous tous les régimes précédents. Ils réclament de la nouveauté dans la gouvernance. Ils s’attendent à un gouvernement de femmes et d’hommes intègres, patriotes, compétents et consciencieux de leur mission. Des personnes qui ne feront pas du bien public leur source de revenus. Le choix du Premier ministre est, à mon avis, un très bon signe. C’est un acte qui renforce les premiers jalons posés par le Conseil national de rassemblement pour le développement (Cnrd). Plus d’un s’accorde à dire que le Premier ministre est un homme pragmatique. Une personne dont les qualités intellectuelles, d’expertises et techniques sont reconnues. Au-delà de tout, il semble avoir la sérénité nécessaire pour mener à bien sa mission car, faut-il le reconnaître, les défis sont grands et les Guinéens en attendent beaucoup. Pourrait-on ajouter qu’il n’a pas les mains sales pour paraphraser Jean-Paul Sartre et qu’il ne sort d’aucune obédience politique. Je m’arrête là pour ne pas être taxé de griotisme, un néologisme que j’ai forgé en 2007. Les récents choix des membres du gouvernement indiquent que les pré-requis ou préalables fixés par la charte de la transition, réitérés par le Président de la République sont respectés. Les qualités professionnelles, la probité morale qui prévalent dans la gestion de la chose publique sont mises en avant. L’espoir est grand que ces critères continuent de s’appliquer dans la nomination des ministres et dans d’autres fonctions de l’administration publique.
Il me semble que la fin a sonné pour ceux et celles qui sont aptes à changer de veste au lieu de changer de mentalité. Il n’est plus question d’être ministre pour s’en mettre plein les poches et alimenter les comptes à l’étranger alors que les Guinéens triment dans la misère. Plus question d’attendre une fin de règne pour se redonner une virginité politique pour continuer à berner les populations, les opposer tout en dilapidant les richesses nationales. De ces exigences tient justement la mission du gouvernement de transition.
Alors, quelles pourraient être les missions et les priorités d’un tel gouvernement ?
Les missions d’un tel gouvernement sont à la fois simples et compliquées. Simples, parce qu’on parle de transition. Comme tel, on ne peut tout demander à un gouvernement dont la durée est limitée dans le temps et l’espace. Compliquées du fait que les populations attendent tout de ce gouvernement. Bon nombre d’entre-nous veulent tout et tout de suite. C’est en cela que la mission n’est pas des plus simples. C’est à chacun d’entre-nous de faire de la pédagogie politique, pour expliquer à nos compatriotes que la première mission est déjà acquise : celle de mettre fin à un régime qui conduisait la Guinée vers les abîmes du pouvoir personnel. A cette mission essentielle jouée par le Cnrd, s’ajoutent les autres qui incombent au gouvernement. Je serai terre-à-terre pour les exprimer.
A mon avis, il s’agit de remettre de l’ordre dans le pays en restaurant la justice. C’est l’une des plus importantes missions. Dire que notre pays était devenu un pays de pagaille n’est pas exagéré. Chez nous autant d’habitants, autant de lois. Autant de professions, de métiers, de services, autant de lois. Je m’explique : Le chauffeur de taxi avait sa loi. Le policier la sienne. Le piéton, le passager, le vendeur, l’acheteur, le directeur ou chef de service, la secrétaire, le vigile, le ministre, le planton, chacun avait la sienne. Pire, sa loi et sa vérité primaient sur les lois de la République ou ce qu’il en restait. Il faudrait donc que nos compatriotes intègrent qu’une nation, c’est le choix consenti de vivre ensemble en respectant les lois, règles et principes. Le faire comprendre, ne sera pas facile car les habitudes de la vérité personnelle, comme je disais, sont enracinées depuis des décennies. Donc, il faut autant mettre fin à la loi du chef qui rime avec dictature qu’à la loi de chacun qui équivaut à la pagaille, au désordre et à l’incivisme.
Il faut aussi remettre le Guinéen au travail. C’est la troisième des missions. A ce que j’ai observé, il y a un travail qui n’échappe à aucun d’entre-nous : c’est la politique. Avant, la politique c’était pour les autres. Maintenant, c’est un sport national. Pire, une spécialité de tout guinéen. Une profession pour laquelle chacun concourt. Les gens sont assis en longueur de journée à parler du Président de la République, du Premier ministre, de Sidya, de Kouyaté, Cellou, Bah Oury. Que sais-je ? Ils sont là, à compter au fil des décrets, le nombre de Malinké à tel poste, de Soussous, Forestiers, Peuls à tel autre. Comme si chacun des nominés n’était guinéen. Ils sont préoccupés par le présupposé militant de Sidya ou Kouyaté qui sera sur la future liste des bénéficiaires du décret, à défaut de dénoncer un nominé. Ils scrutent le prochain décret présidentiel pour savoir quel diaspo, quel fils de quelle région sera le nouveau promu.
Les gens devraient se mettre au travail, au sens noble du terme. Se consacrer à l’élevage, l’agriculture, l’apprentissage d’un métier. Pour les plus jeunes, aller à l’école au lieu de passer la journée un paquet de bonbons à la main dans les artères de la capitale.
Tout cela ne peut se faire sans restaurer l’ordre, la discipline, l’amour de l’effort personnel.
La quatrième mission consiste à la réconciliation nationale. C’est la dernière que j’aborderai et que je n’ai placée ni en premier ni en second. Encore moins en troisième. Vous me demanderez pourquoi. A mon avis, si nos compatriotes comprennent qu’un membre du gouvernement est égal à un autre en termes de légitimité, le premier pas de la réconciliation sera accompli.
Ce sont les régimes et ceux qui les détiennent qui divisent. Je m’explique. Si le Soussou voit le soussou à tel ou tel poste en le considérant comme un des siens et non comme un cadre ou ministre de la république, il n’y aura ni unité ni réconciliation. Si le Peul ou un autre agit pareillement, le fossé entre les citoyens va se creuser et s’approfondir. Finalement, c’est la nation qui en pâtira. D’où l’intérêt du choix des personnes dont nous avons parlé au début de cette interview. La réconciliation nationale est au-delà de la mission d’un gouvernement tout seul. Qu’il soit de transition ou non. C’est un devoir de chaque citoyen de se réconcilier d’abord avec lui-même, avec sa conscience avant de se réconcilier avec les autres. Cela ne veut pas dire que le gouvernement n’a pas de rôle à jouer. Nous voyons que les premières initiatives sont posées à l’appel au pardon. Un appel auquel il ne manque plus que l’appel à la justice car le pardon est tributaire de la justice. Autrement dit, le pardon sans la justice n’est qu’une façade de pourparlers qui cache la braise juste pour retarder la flamme de rejaillir. A nous tous d’accompagner le gouvernement dans cette mission de quête de réconciliation. Vous remarquerez que je n’ai pas évoqué les priorités sectorielles comme l’éducation, la santé et autres secteurs dont la responsabilité revient aux différents ministres de tutelle.
La liste des missions pourrait se rallonger mais j’ai commencé par rappeler que le réalisme doit primer avant tout. Tout demander au gouvernement de transition, c’est le mener vers l’échec. C’est surtout pousser le pays vers une transition sans fin et qui pourrait être une source d’instabilité.
Cela dit, un gouvernement de transition aurait-il des limites ?
Oui, je viens de définir les contours des missions et de leur limite, surtout s’agissant de la question de la réconciliation. Le gouvernement de transition, c’est un gouvernement de sauvetage, en quelque sorte. De réanimation diraient les médecins. Le Cnrd a sauvé le pays, comme je le disais plus haut, des méfaits de la concentration des pouvoirs entre les mains d’une seule personne. Il appartient aux guinéens que nous sommes de parachever le reste en comprenant la notion de transition et le caractère particulier et temporaire de ce type de pouvoir. Malgré toute la bonne volonté du président Doumbouya, de son Premier ministre et du gouvernement, ils ne pourront que panser toutes les plaies béatement ouvertes depuis des décennies. En d’autres termes, c’est à nous citoyens d’aller au-delà des calmants pour appliquer les vrais remèdes qui sortiront notre pays du bourbier dans lequel il a été plongé par les systèmes politiques précédents. Cela commence par un regard, non pas introspectif sur nous-mêmes, mais une vision critique portée sur notre histoire et notre devenir commun. Le tout en se disant quelle est ma part de responsabilité dans ce qui est arrivé à mon pays. Bref, un vrai examen de conscience s’impose à chacun au-delà même de la période de transition.
Pendant cette période de transition quel devrait-être le comportement des acteurs politiques et de la société civile
Une question d’importance. Je dirai que les partis politiques devraient appuyer la transition en disciplinant avant tout leurs militants. Dans leur vocation de conquête du pouvoir, qu’on se le dise, bon nombre de partis politiques, ont habitué leurs militants à s’entre-déchirer sur fond ethnique.
La société civile a un rôle presque similaire à jouer en évitant d’outrepasser ses prérogatives et de confondre son statut à celui d’un parti politique. Encore pire, en voulant apparaître comme un organe allié à part entière à la transition. Donc, le rôle des uns et des autres, c’est d’expliquer que la transition n’est en rien pour ou contre tel ou tel parti politique ou plateforme de la société civile. Que les membres civils ou militaires de cette transition ne sont sous la coupe de quelque parti politique ou mouvement civil que ce soit. Par conséquent, ils ne doivent pas être appréciés sur la base de critères qui ont prévalu jusque-là. Les citoyens devraient savoir que le Cnrd n’est pas à comparer au Ctrn, au Cndd par exemple, en termes de transition. Encore moins à un parti politique en matière de conduite du pouvoir. C’est également aux acteurs politiques de faire comprendre que ce comité est une institution émanant de citoyens intègres en tenue qui ont pris conscience d’un danger sûrement imminent qui pèse sur la République. Très certainement, ces personnes se seraient dites que si elles ne prenaient pas leur responsabilité, elles seraient redevables à l’histoire. En tout état de cause, elles auraient senti qu’un point de non-retour était en train d’être atteint. Ce qui les aurait poussés à agir.
Cela justifierait, à mon avis, que les partis politiques et la société civile, sans être neutres, ne doivent pas non plus jouer à la récupération. Pourtant, certains actes cachent à peine cette volonté. Je dis qu’aucun parti politique, mouvement civil ou corporation n’est le géniteur du Cnrd. Comme tel, si la vigilance s’impose quant au respect des termes de la transition, ces derniers ne devront point vouloir apparaître en pro ou anti Cnrd. Tout au contraire, ils devraient l’accompagner en veillant au respect de la charte de la transition.
Que diriez-vous de l’attitude de la part de la communauté internationale, à commencer par nos voisins de la Cedeao?
La communauté internationale, au sens large, accompagnera la transition. Tout est question de temps d’observation, je dirai. Cette communauté scrute juste pour voir si la transition respectera ses promesses de réinstaurer l’Etat de droit entre autres. Quant à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), elle est redevable à la Guinée. Pour qui sait le rôle que cette communauté devrait jouer et l’attentisme, pour être mesuré, qu’elle a observé quand notre pays était réellement en danger, il lui dira juste de ne pas trop attendre pour accompagner le Cnrd. En tout état de cause, les Guinéens ont pris le parti de la transition. Et, lorsque les peuples décident, les institutions ne peuvent que suivre. A ne pas oublier que cette Cedeao est l’émanation des peuples africains. Tout cela, pour dire que pour redorer son boubou, cette organisation aurait bien fait de revoir sa copie pour ne pas accumuler les frustrations des peuples : Mali, Guinée, Guinée-Bissau, il y a peu, par exemple.
Maintenant, à votre avis, quel devoir de la nation à l’égard des acteurs de la transition au nombre desquels le président et le premier ministre ?
Je vois ce que vous voulez dire. Vous parler de reconnaissance à l’issue de la transition.
Effectivement.
La première reconnaissance est d’ordre moral. Celle-ci incombe à l’histoire. Vous savez que chacun mérite reconnaissance. Mais celle-ci dépend de la tâche accomplie. Le choix incombe à chaque acteur politique ou n’importe quelle personne de choisir la nature de cette récompense. En matière de politique, il y a deux portes qui s’ouvrent dès que vous y mettez un pied. Celle d’en haut, d’où l’expression sortir par la grande porte. Et celle d’en-bas, qui a donné l’autre expression, sortir par la petite porte. Autant dire que tout est question d’issue. Si la transition est menée à bon terme, comme le montrent les premiers signaux, la reconnaissance aux Grands Hommes, car il s’agira de cela, n’est nullement compliquée. C’est le temps et l’histoire qui en détermineront la nature. Je me contenterai de dire que les deux personnalités dont il s’agit seront d’ores et déjà, en réserve de la république. Cela veut beaucoup dire pour peu qu’on analyse et qu’on comprenne le sens de l’histoire. D’autres pays qui ont réussi leur transition nous donnent de bons exemples à suivre.
Voilà, nous sommes à la fin de cette interview. Dites-nous un mot pour terminer ?
Mon premier souhait, c’est que la transition ne foire pas cette fois-ci. Ensuite, j’émets le vœu que nous Guinéens enterrions les égos ethniques pour reconstruire notre pays si longtemps déconstruit. Enfin, que les critères de choix des personnes appelées à intégrer le Conseil national de la transition (Cnt) se fassent à l’image de ceux du gouvernement. J’ai dénommé ces critères de gouvernance la trilogie de la reconstruction nationale: Patriotisme, intégrité, compétence.
Merci, Monsieur Diallo.
C’est à moi de vous remercier pour la constance.
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