Certains administrateurs coloniaux qui militaient pour le maintien de la colonisation justifiaient leur position en affirmant péremptoirement : “Nous sommes les seuls capables de faire vivre ensemble ces différentes ethnies qui se détestent. Après notre départ, ils vont se faire la guerre pour la suprématie “.
Des experts en développement et des universitaires qui se sont penchés sur l’Afrique ont noté parmi les freins à son essor : les divisions tribales, voire les guerres tribales, les luttes pour le leadership tribal.
Nous sommes effectivement dans cette situation depuis notre indépendance en 1958. L’unité nationale forgée lors des luttes pour l’indépendance a volée en éclats sous les coups de boutoirs de l’objectif de contrôle tribal du pouvoir. Qu’on le dise ou pas, ce combat est au cœur de la politique en Afrique.
En réalité, il n’y a pas de projet politique à défendre, donc la classique différentiation politique ou idéologique gauche-droite n’existe pas. On sort du domaine de la rationalité pour tomber dans la subjectivité, le déchaînement des passions.
Les dirigeants ne représentent plus leurs partis ou courant politique, mais leurs propres communautés. Le président ne représente plus toute la communauté nationale, mais uniquement sa communauté ethnique et il est perçu comme tel par tous.
Dans cet environnement malsain, critiquer par exemple Sékou Touré, c’est s’attaquer aux Malinkes et faire de même avec le général Lansana Conté, c’est s’en prendre aux Soussous etc. C’est ainsi, il est impossible de débattre sereinement et objectivement des problèmes du pays sans tomber dans les travers de la division ethnique.
Partout en Afrique, ce sont les premiers chefs d’État issus de la décolonisation qui sont les responsables de cette déchirure ethnique de nos pays. Leurs successeurs les ont suivi sur cette voie périlleuse, source de tous les conflits sanglants que le continent ait connu. Les pays qui n’ont pas connu ces méfaits se comptent du bout des doigts.
Voyez-vous, il est indéniable que nous avions donné raison aux colons racistes qui s’exprimaient plus haut. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous sommes les seuls concernés par les problèmes ethniques. L’Europe elle-même fait face à ces problèmes, notamment les cas Catalan, Basque, Corse ou Écossais sont des exemples. Mais, partout dans ces pays européens concernés, les lois s’appliquent indistinctement à tous. C’est ce qui n’est pas le cas chez nous et donc c’est le pouvoir hors-la-loi qui exacerbe les tensions ethniques qui sont les principales sources d’instabilité politique.
Voulons-nous poursuivre cette lutte perpétuelle pour le leadership tribal?
Seul le respect du droit peut permettre le vivre-ensemble dans un pays multi-ethnique. La loi est impersonnelle et doit s’appliquer à tous.
Nous devons accepter le principe que chaque personne est responsable individuellement de ses actes. En aucun cas, on ne peut rendre pour responsables de ses crimes, ses proches ou sa communauté.
C’est le droit qui sauve, hors du droit, point de salut.
Or, dans notre pays, c’est l’arbitraire qui règne en maître. Les dirigeants font fi du droit. À la rigueur, la préférence nationale face à l’étranger peut se comprendre, mais, il est inacceptable de pratiquer la préférence ethnique dans un pays multi-ethnique.
Relisez les Constitutions de 1958, 1990 et 2010, vous comprendrez que si les présidents Sékou Touré, Lansana Conté et Alpha Condé les avaient respectées, la Guinée aurait pu éviter des tragédies humaines. Ce sont des faits et non des accusations gratuites.
Remettons nous en cause et évitons d’aller droit dans le mur.
La liberté dans la prospérité est fort possible, le Ghana en est un exemple au sein de la CEDEAO. Le Ghana de Nkwamé Nkrumah est différent du nouveau Ghana de Jerry Rawlings. Ce dernier a arrêté la décadence de son pays commencée sous Nkrumah, puis accélérée par ses successeurs de généraux putschistes. Par leur faute, le Ghana s’est retrouvé loin derrière la Côte d’Ivoire, confirmant ainsi le pari gagné de Houphouet Boigny sur Nkwamé Nkrumah.
En instaurant la démocratie avec des institutions fortes, Jerry Rawlings a permis au Ghana de dépasser la Côte d’Ivoire et aujourd’hui, le premier est loin devant le second en terme de PIB nominal ( en 2018, le PIB du Ghana est de $65,19 et celui de la Côte d’Ivoire $43,03 selon le FMI). Le Ghana s’est hissé au 9 ème rang dans le top 10 des économies africaines.
La Guinée restera un pays arriéré et pauvre tant que le risque juridique persistera pour les investisseurs y compris locaux et donc le non respect du droit par l’État, d’où l’impérieuse nécessité d’un leadership respectueux de l’État de droit.
Par Alpha Saliou Wann