Tierno Monénembo : « CAN 2019, une défaite du Syli à 62 milliards de francs guinéens ! »

L’élimination prématurée de l’équipe guinéenne à la Coupe d’Afrique des nations a suscité une vive indignation, alors que les révélations sur les frais engagés par la Fédération de football défraient la chronique.

Un petit tour et puis s’en va ! Le séjour égyptien du Syli national, la sélection guinéenne, fut bref et terne. À aucun moment, le pachyderme (syli signifie éléphant en langue nationale soussou) n’a réussi à coller à l’événement. Repêché in extremis, au terme du premier round, la team de Naby Keïta a été rapidement stoppée par la redoutable machine algérienne. Un match nul, une petite victoire, deux défaites ! Un maigre bilan, mais un coût pharaonique. Normal, me direz-vous, on est au pays des pyramides ! Plus de 60 milliards de francs guinéens, soit entre 6 et 7 millions d’euros selon notre confrère, Guinéenews !

Une défaite prématurée et beaucoup de questions

Près de 3 millions d’euros rien que pour le transport opéré sur la base d’un contrat signé de gré à gré avec l’agence de voyages SMC Négoce. Il ne s’agit là que des dépenses effectuées à la date du 25 juin. Il faudra y ajouter le séjour des joueurs, du staff technique, des officiels et des 500 supporteurs (choisis sur quels critères ?), le billet retour, l’achat des équipements sportifs et sanitaires et bien d’autres petites bricoles aux frais du contribuable dans un pays où le salaire moyen avoisine les 56 dollars et où près de 40 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Il est vrai que le football n’est plus une simple question de crocs-en-jambe et de coups de pied en l’air. C’est devenu un fait de société, que dis-je, l’indicateur majeur de notre civilisation ludique, jouisseuse et mondialisée. C’est aussi et surtout la machine à tout faire : le fric, le pouvoir, les dieux du stade et les croisés du ballon rond. Une aubaine pour les affairistes et les politicards ! Dans certains pays, il est devenu un sujet sensible au même titre que le sexe, la politique ou la religion. Il est normal, voire vital pour nos États, de veiller sur nos équipes, surtout à la CAN – le seul espace où Noirs, Malgaches et Arabo-Berbères se sentent pleinement africains –, mais alors avec l’art et la manière. Le président malgache, par exemple, a attendu que sa prodigieuse jeune équipe atteigne les quarts de finale pour mettre la main à la poche. Deux avions affrétés, 800 supporteurs invités : les anciens footballeurs, des gamins issus de quartiers défavorisés, des citoyens méritants. Non, nos dirigeants ne sont pas des saints, mais enfin, pour peu qu’ils y mettent la forme, cela suffit à notre joie.

 « Il y a eu des manquements »

La Guinée, qui est l’un des pays les plus corrompus du monde, a fait de la pêche, du football et des mines des zones de non-droit où tous les coups sont permis, où l’odeur de l’argent facile attire tous les malfrats du monde. Les 60 milliards évoqués ici ne sont que le nuage d’une fumée qui vient de lui. Il faudrait des yeux de lynx et une patience de Grisélidis pour en percevoir les braises ardentes. Songez qu’après l’affront subi devant l’Algérie, le staff du Syli (17 personnes au moins !) s’est enfui dès potron-minet sans prévenir ni le président de la Féguifoot ni même l’entraîneur qui l’a embauché. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Antonio Souaré, le président de ladite fédération : « Le staff technique a disparu au petit matin après la défaite… Il y a eu des manquements. Jamais il n’y a eu autant d’investissements dans le football guinéen. J’ai dit à l’entraîneur qu’il y a des informations qui circulent et qu’il faut qu’il nous dise la vérité. Nous lui avons dit qu’il n’a plus la main sur l’équipe. » Pauvre Syli national que l’on accuse de tous les maux, et celui de manque de patriotisme !

De toute façon, les dirigeants du football guinéen n’ont ni à s’étonner ni à se plaindre. Ce sont eux qui ont recruté l’entraîneur Paul Put. Un homme déjà condamné à deux ans de prison par la justice belge pour corruption et trucage de matches, radié à vie par la fédération belge de football et congédié comme entraîneur de Jordanie. C’est celui-là et personne d’autre que l’on a placé à la tête du Syli national avec les résultats que l’on sait !

Pour moins que ça, le président de la fédération et l’entraîneur ont démissionné après la défaite de l’Égypte devant l’Afrique du Sud. Vous avez raison, messieurs les Égyptiens : en cuisine comme au football, on ne change pas une équipe qui perd. On change le chef, surtout quand, à tous les coups, j’allais dire à tous les matches, il gagne des mille et des cents.

NB : Cette chronique a été publiée premièrement sur le site le point.fr

* 1986, Grand Prix littéraire d’Afrique noire ex-aequo, pour « Les Écailles du ciel » ; 2008, prix Renaudot pour « Le Roi de Kahel » ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et Grand Prix du roman métis pour « Le Terroriste noir » ; 2013, Grand Prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour « Le Terroriste noir » ; 2017, Grand Prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre.

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