Quel dialogue national pour surmonter ce qui nous oppose ?

Lamarana-Petty Diallo note que le pays a besoin de dialogue. Il trouve même que se mettre autour de la table du dialogue est la voie incontournable qui s’impose à la Guinée d’Alpha Condé comme ce fut le cas à l’Afrique du Sud de Nelson Mandela et au Rwanda de Paul Kagamé.

La Guinée est embourbée dans une crise politique d’une quinzaine d’années. Marquée par des périodes d’accalmie et de soubresauts, parsemée de lumière et d’ombre, cette crise pèse sur les citoyens, les consciences et la communauté internationale.

Comment pourrait-il en être autrement, tant notre pays carrefour de la sous-région ouest-africaine, porte-flambeau du passé historique et politique de l’Afrique Noire, a connu bien de ratés pour assez peu de réussite. Tant il a très peu satisfait aux attentes placées en lui. Néanmoins, notre pays, aux composantes ethniques imbriquées les unes aux autres par des liens de parenté n’a jamais cessé de soulever d’espoir. Nous avons souvent été cités en exemple. Rien que pour cela, notre pays doit être à la hauteur en relevant les défis et en honorant son passé.

Une responsabilité au-delà des frontières

La responsabilité guinéenne est lourde car elle dépasse ses frontières. Elle touche, au-delà de nos populations, de nos ethnies celles de pays voisins. Cela rend la problématique guinéenne l’une des plus sensibles, des plus rebutantes, des plus complexes à dénouer. Partant, si la Guinée pose problème, les peuples et pays limitrophes en ressentent non pas le souffle. Mais le soufre.

Cependant, combien sommes-nous à en prendre la mesure ? Quel responsable politique sous-pèse les conséquences d’une situation qui perdure afin d’évaluer les enjeux et les défis pour que nous sortions de l’ornière ? Pour mettre fin aux guerres intestines aux conséquences indescriptibles ?

Ces quinze dernières années, la Guinée a été traversée par plus de sept (7) grandes crises. Des soulèvements populaires de 2006, aux massacres du 28 septembre 2009 jusqu’aux crises postélectorales de mars et octobre 2020, nous vivons au rythme des conflits. A bien y réfléchir, nous pouvons dire que nous avons échappé de justesse. Mais jusqu’à quand cette chance durera-t-elle ?

Si le dialogue annoncé ne se réalisait pas pour mettre fin aux ratages antérieurs, cette chance risque de nous lâcher. Le cycle d’espoirs ayant enfanté plus de chimères que de paix durable devrait prendre fin cette fois-ci par un dialogue politique, prélude à la réconciliation nationale.

N’a-t-on jamais pensé chez nous à la parabole de la nation et du mariage ? Imaginons que les crises répétitives de notre pays soient une succession de mariage et des divorces. Que seraient devenus les enfants issus de ces mariages, remariages, divorces et autres conciliabules infructueuses ?

Il est temps qu’on se dise qu’autant faire et défaire des mariages détruit les enfants, la lignée, la descendance et des générations entières, autant l’échec des dialogues inaboutis mettent le peuple en souffrance.

Si la Guinée n’est pas une famille, elle est au moins une entité nationale. Une composante d’ethnies aux liens séculaires dis-je. Hélas, ces liens sont travestis par les politiques du passé et du présent. Par des hommes et des femmes qui croient plus souvent à l’affrontement pour exister qu’au dialogue pour s’imposer. Pourtant, ce n’est pas la guerre qui fait le monde mais le dialogue, mère de la paix.

Notre responsabilité, en tant que pays carrefour, en tant que nation porte-étendard, c’est de mesurer à leur juste valeur les enjeux qui pèsent sur nous et sur nos voisins. Pour ce faire, nous devrions avoir une réelle conscience du dialogue et de sa portée.

Une perspective de dialogue n’est pas une période préélectorale

Les responsables politiques guinéens auraient tout intérêt à mesurer l’enjeu de la crise que nous traversons.  Plus d’un an que nous nous regardons en bourreaux et victimes. Plus d’un an que le langage de la rancœur, de la frustration a pris le dessus sur celui de la fraternité, la solidarité, la paix et la coexistence pacifique.

Comme si cela ne suffisait, on s’aperçoit qu’ils sont nombreux nos politiques qui voudraient se servir de l’annonce du «Cadre permanent du dialogue », pour renaitre de leurs cendres. On risque de voir,  très prochainement, germer çà et là, de nouvelles alliances entre les divorcés d’hier. Entre les copains et les coquins pour manger le pain du dialogue en voulant enfariner le peuple.

Ils sont nombreux à ne s’intéresser qu’à une chose. Est-ce que le dialogue en perspective sera encore l’occasion de décaisser quelques billets de banque sonnants et trébuchants. Est-ce que la communauté internationale mettra la main dans les poches ? Ainsi, certaines poches trouées de nos chers opposants, qui tendent plus la manche qu’ils ne s’opposent réellement, se rempliraient à nouveau.

Disons-le clairement. Si le dialogue devait être une boîte à sous,  une occasion pour remplir le panier de la ménagère de politiciens aussi riches qu’un rat d’église, prêts à tout, pour leur besace et leur ventre, il n’en vaudrait la peine. Certains parlent plus par opportunisme et n’ont aucune volonté de se saisir de l’opportunité qu’offre le cadre de dialogue qui solutionnerait nos problèmes. Un dialogue pouvant libérer notre peuple pris en étau entre un pouvoir et une opposition qui semblent n’exister que pour se taper là-dessus.

Pour ne rien arranger, des voix discordantes, peu inspirées et moins influentes jouent en solo. Dénonçant pêle-mêle une certaine tribune parue dans les médias la semaine dernière et invectivant aussi bien leur camp que leur adversaire, ils sèment la zizanie alors que le pays est en eau trouble.

Ailleurs, les porte-paroles de leaders politiques tapis dans l’ombre font le remue-ménage pour une «Transition transitoire» qui les mènera à Sékhoutouréya. Tout donne l’impression que sans la mort politique des uns le dialogue ne devrait pas avoir lieu. Et pourtant.

La Guinée joue son va-tout cette fois-ci. Elle dialoguera en toute franchise, à cœur ouvert, sans coups fourrés, pour sauver l’essentiel ; pour épargner son peuple des affres qu’il a toujours pu éviter. Ces mésaventures, dont l’ombre plane sur nos têtes, arrivent à tout pays dont les élites sont bornées, entêtées ou orgueilleuses.

Ces mésaventures sont évitables à une condition : que les termes du dialogue soient posés avec clarté.

Le dialogue ne doit pas se poser en termes de dualité possible-impossible.

Depuis la nomination de monsieur Fodé Bangoura comme Secrétaire permanent du dialogue bien de choses ont été dites.

Nous avons vu des responsables politiques applaudir de deux mains alors que d’autres condamnent. Les uns comme les autres n’ont pas pris le temps nécessaire à une distanciation propice à la maturation des idées pour une prise de position sereine. Ils ont autant acculé le pouvoir que l’opposition.

Politiquement, leur réaction est irresponsable. Ils ont vite oublié que monsieur Fodé Bangoura est un guinéen comme un autre. Que le dialogue ne relève pas de lui mais de celui qui en a pris l’initiative.

A mon avis, ceux qui voudraient une personnalité neutre en lieu et place de monsieur Bangoura, tout comme ceux qui réfutent le décret présidentiel, ont mal appréhendé la perspective d’une probable réussite. Si les avis personnels, les prises de positions individuelles sont les bienvenues, la décision finale devrait incomber aux instances nationales tant l’enjeu est de taille et les doutes tenaces.

Dans ces conditions, il appartient aux gouvernants de rassurer au-delà des mots en faisant en sorte que ce dialogue-ci enfante des lendemains meilleurs. Ils devraient clairement s’engager et ne pas se poser la question : « dialoguer ou ne pas dialoguer mais plutôt dire à leurs potentiels interlocuteurs nationaux ou internationaux : « quand ; comment ; sur quoi » dialoguer.

Il ne m’apparait pas nécessaire d’insister sur les points devant faire l’objet du dialogue tant ils sont connus de tous. Sans ces préalables qui engagent le gouvernement guinéen, le dialogue en perspective risque de ne pas avoir lieu car il serait biaisé dès le départ.

C’est au pouvoir de montrer, qu’au-delà de la nomination de monsieur Fodé Bangoura, que cette fois-ci les retrouvailles autour de la table ne tourneront pas à l’invitation de l’hyène à la chèvre pour que sa viande serve de festin. Qu’elles ne se réduiront pas à des salamalecs de grands boubous bien amidonnés, à un défilé d’assortiments féminins de Getzner, de mari-capables, de cravates et nœuds papillons pour hypnotiser les guinéens. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de jouer au dialogue. Il faut le faire pour une raison bien simple.

Ne pas dialoguer équivaudrait à un suicide national

En Guinée, comme ailleurs en Afrique et dans le monde, il est habituel de recourir à la parole autour de la table, au dialogue politique donc, pour mettre fin à une crise pré ou postélectorale, un conflit interethnique, une guerre civile, un coup d’Etat armé, etc.  La situation guinéenne actuelle se prête à ce scénario.

Cependant, un dialogue a rarement fait l’unanimité. Pourtant, si controversé soit-il, sa nécessité s’impose. La physionomie politique guinéenne en fait un passage obligé.

D’un côté, on a un pouvoir acculé de l’intérieur et de l’extérieur. Un pouvoir qui a sûrement peur. Du moins secoué. Qui est aux abois selon les critiques les plus acerbes.

Un président qui souffre très certainement de la couleur qu’a prise son aura internationale. Pas brillantissime dirions-nous. Quelqu’un qui est habitué aux forums, sommets, conférences et qui a souvent été l’objet de considération est absent à tous les rendez-vous.  Quelqu’un qui a toujours été courtisé par les caméras et qui s’est souvent prêté aux flashs pour ses paroles détonantes passe presque pour un anonyme. Absent de la scène internationale, il ne peut ni faire prévaloir son passé « d’opposant historique » ni son « panafricanisme ».

De l’autre côté, une opposition souvent humiliée et constamment rabaissée plus bas que terre. Des personnalités prises en otage car ne pouvant se mouvoir au-delà des frontières nationales. Des gens sous surveillance, pourrait-on dire. Des cadres et militants en prison ou en exil, etc.

Qu’on se le dise, les gouvernants et l’opposition sont tous bousculés. Les uns ont la communauté internationale sur le dos. Les autres sont acculés par leur base. Par-dessus tout, la situation à l’interne ne saurait tenir car économiquement le pays est asphyxié. Il est bien connu que si la marmite ne bout pas, ce sont les Etats qu’on cuisine : par la rue et par d’autres voies.

L’opposition devrait être rassurée pour qu’elle cesse d’être sur ses gardes. Cela permettrait de voir ce qui est faisable ou envisageable.

Seul le dialogue pourrait éviter à la Guinée de faire face aux visages hideuses des lendemains sinistres ; des course poursuite qui finissent dans le sang. Par lui seul, on pourrait désengorger les prisons car les cimetières sont déjà pleins. N’est-ce pas que nous avons presque autant enterré que nous avons baptisé de 1958 à nos jours ?

Que faire si ce n’est dialoguer pour mettre fin à la prise d’otage de notre peuple par nos représentants tant en boubou, caftan, vestes, cravates, qu’en treillis. Nous n’avons qu’une solution : le dialogue.

S’interdire le dialogue relèverait, dans le contexte actuel, d’un grand risque tant pour les gouvernants que pour l’opposition. Ce serait tout simplement un suicide national. Par conséquent, personne n’a intérêt que le projet de dialogue échoue cette fois-ci.

Un message ? Ce serait celui-là

Guinéens, simples citoyens, responsables politiques, du président aux autres, le dialogue s’impose.

Qui aurait intérêt que le pays s’enflamme, flambe et se consume dans la guerre de politiciens ? Aucun peuple n’aime les conflits. Le nôtre a toujours été tolérant et attaché à l’essentiel.

Les responsables politiques guinéens devraient savoir qu’on n’est jamais aussi fort que lorsqu’on est faible pour construire. Alors, n’affutez pas vos armes pour la guerre mais plutôt vos langues pour le dialogue. Cette fois-ci, faites preuve de maturité et de résilience en surmontant ce qui vous oppose.

La Guinée a besoin de dialogue. Ce dialogue est impératif, salutaire et inévitable. L’Afrique du Sud est passée par-là. Le Rwanda n’a pas fait l’économie de se parler entre Tutsi et Hutu. Qu’est-ce qui empêcherait les Guinéens de se mettre autour de la table du dialogue ?

Dirigeants guinéens de tous bords politiques, élite guinéenne, de l’intérieur et de l’extérieur, la balle est dans notre camp. Le peuple nous regarde.

La Guinée est une fois de plus face à elle-même. Puisse-t-il la foi patriotique nous inspirer.

Par Lamarana-Petty Diallo

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