« Le plus grand », comme Mohamed Ali aimait se décrire lui-même, est mort, vendredi 3 juin à Phoenix (Arizona), d’une insuffisance respiratoire, à l’âge de 74 ans.
Après trente-deux années, la maladie de Parkinson a fini par terrasser l’une des dernières icônes planétaires du sport. Il restera, pour l’éternité, une belle et grande gueule qui n’hésitait pas à martyriser – avec sa verve ou ses poings – ses adversaires qui lui avaient manqué de respect.
Mohamed Ali est né Cassius Clay à Louisville, dans le Kentucky, le 17 janvier 1942 dans un milieu pauvre, jure-t-il, même si sa propre famille a toujours préféré le terme modeste. Son père, Cassius Marcellus Clay Senior, peint des affiches publicitaires et Jésus, qu’il aimait dessiner « blancs aux yeux bleus ». Sa mère, Odessa, femme de ménage chez les riches blancs, élève ses deux garçons.
Le « boxeur poète »
Après une carrière amatrice vertigineuse – médaille d’or olympique des mi-lourds (75-81 kg) aux Jeux de Rome en 1960, 108 combats, 100 victoires –, Cassius Clay rencontre, pour son premier championnat du monde, prévu à Miami, le 25 février 1964, le « vilain ours » Sonny Liston. A 32 ans, celui-ci est donné favori à huit contre un. Cassius Clay est déjà surnommé le « boxeur poète », lui se dit déjà « le plus beau, le plus grand ». Et à la surprise générale, c’est le jeune apollon de 22 ans qui pousse son aîné, blessé à l’épaule gauche, à l’abandon avant la reprise du 7e round. Durant le combat, Sonny Liston avait tenté d’aveugler le rejeton pour éviter de finir humilié dans les cordes. Il touchera 1,15 million de dollars et Cassius Clay 650 000 dollars pour son premier sacre.
Mais pour la presse, ce combat est une « combine ». Cette année-là, Cassius Clay n’existe plus. Il exige qu’on l’appelle Cassius X, renonçant ainsi à son nom d’esclave légué par d’anciens propriétaires blancs. Il fréquente un certain Malcom X, et la secte politico-religieuse Nation of Islam, dirigée par Elijah Muhammad. Cassius X devient Mohamed Ali et exige qu’on l’interpelle uniquement par son nom musulman.
Le refus d’aller au Vietnam
La revanche Liston-Ali se profile. Et le 25 mai 1965, à Lewiston, dès le premier round, Sonny Liston tombe. « Debout et bas-toi, enfoiré », lance Mohamed Ali. C’est la victoire la plus rapide de l’histoire des championnats du monde des poids lourds. Le coup de poing fatal – surnommé « le coup de poing fantôme » – est si furtif que personne ne semble l’avoir vu dans le public. Encore une fois, ce combat est controversé…
Mohamed Ali défendra, avec succès, neuf fois son titre. Mais la guerre du Vietnam le rattrape en 1966. Il refuse d’aller au front car sa religion le lui interdit. Pour lui,« les Vietcongs sont des Asiatiques noirs », et il n’a pas à « combattre des Noirs ». Il est condamné le 21 juin 1967 à cinq ans de prison et 10 000 dollars d’amende. On lui retire son titre et sa licence de boxe.
Mais il ne baisse pas la garde. En 1970, on lui réattribue sa licence, un tribunal ayant reconnu qu’une condamnation pour insoumission ne justifiait pas qu’on lui retire son moyen d’existence. Le ring retrouve son maître et Mohamed Ali enchaîne de nouveau les combats et les victoires. Une seule chose l’obsède : la reconquête du titre. Le 8 mars 1971, au Madison Square Garden de New York, deux boxeurs invaincus vont s’affronter dans le « combat du siècle ». Mohamed Ali contre le champion du monde en titre, Joe Frazier.
« The Champ » va perdre ce duel aux points. Il faut repartir de zéro. Un long chemin pour devenir le challenger numéro un. L’ancien champion a vieilli et est moins agile. En 1973, face à Ken Norton, il perd une deuxième fois et quitte le ring avec une mâchoire fracturée.
A Kinshasa, « le grondement de la jungle »
L’homme n’est pas abattu, et remonte sur le ring : il prend sa revanche sur Ken Norton, puis sur Joe Frazier et défie le champion du monde George Foreman, 25 ans. C’est probablement le combat le plus emblématique de sa carrière et le plus mythique de la boxe : c’est au Zaïre, à Kinshasa, grâce aux 10 millions de dollars du président Mobutu promis aux deux protagonistes, et grâce à l’entregent dupromoteur Don King, que les deux hommes vont s’affronter. L’Afrique, un retour aux sources. Dans les rues poussiéreuses de Kinshasa, Mohamed Ali redécouvre brutalement sa notoriété et réalise qu’il a participé, d’une certaine manière, à… changer le monde en refusant d’aller se battre au Vietnam. « Ali boumayé » (« Ali, tue-le »), hurle-t-on lorsque l’on croise sa grande silhouette.
Mohamed Ali va adopter une étonnante stratégie pour vaincre en encaissant pendant sept rounds les coups rageurs de son adversaire jusqu’à ce que la« momie » s’épuise. Et au huitième, il se lâche et envoie, le 30 octobre 1974, devant 100 000 personnes, George Foreman au tapis. Dix ans après son premier titre, à 32 ans, Mohamed Ali redevient « le plus grand » après un combat surnommé « The Rumble in the Jungle » (« le grondement de la jungle »).
Mohamed Ali défend dix fois de suite avec succès son titre avant de le concéder aux points le 15 février 1978, à Las Vegas, à Leon Spinks, 24 ans. Sept mois plus tard, il reprendra son titre, pour la troisième fois ! Ali a 36 ans. Il combattra laborieusement encore en 1981 avant de dire adieu aux cordes après vingt et un ans de professionnalisme. Son palmarès chez les pros : 61 combats, 56 victoires – dont 37 par KO – et 5 défaites.
En 1984, on lui diagnostique la maladie de Parkinson. L’homme consacre alors son existence à délivrer un message de paix, celui qu’il dit avoir trouvé dans l’islam. Il a même une étoile sur Hollywood Boulevard, à Los Angeles. Mais elle est accrochée sur un mur à l’entrée du Kodak Theater, et non placée sur le trottoir comme pour les autres stars, car il ne souhaite pas qu’on piétine le nom du Prophète.
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