Massacre du 28 septembre : que dit le rapport d’enquête de l’ONU sur Dadis Camara ?

Alors que le procès du massacre du 28 septembre s’est ouvert ce mercredi à Conakry, la rédaction de guinee28 a décidé de republier le rapport d’enquête de l’ONU sur cette tragédie pour la manifestation de la vérité.

Le document de 60 pages a été remis le 16 décembre 2009 au Conseil de sécurité par le Secrétaire général de l’ONU à l’époque, Ban Ki-moon. Les 60 pages accablent Moussa Dadis Camara, Aboubacar Sidiki « Toumba » Diakité et Moussa Thégboro Camara, qui sont tous trois considérés comme ayant « une responsabilité pénale individuelle » dans les massacres qui ont eu lieu le 28 septembre, et dans les jours suivants, à Conakry. Mais d’autres noms apparaissent également. Ceux de Claude Pivi et du général Sékouba Konaté, entre autres.

Pour rédiger ce document précis et accablant pour les principaux acteurs, les trois enquêteurs de l’ONU ont rencontré 687 personnes: témoins, victimes et proches des victimes ; forces de l’ordre et représentants du parquet et du barreau de Conakry ; responsables de cliniques et du personnel des hôpitaux. Mais aussi et surtout les plus hauts responsables guinéens, du Premier ministre au Président de la République, en passant par les ministres et les proches de Dadis Camara.

Leurs témoignages sont consignés au fil des chapitres du rapport, qui finit par détailler les « responsabilités individuelles pour violations du droit pénal international ». La Commission d’enquête définit ainsi trois groupes de personnalités :
1. Ceux pour qui « il existe des motifs raisonnables de présumer une responsabilité pénale individuelle ». Il s’agit de Moussa Dadis Camara, « Toumba » Diakité et Moussa Thégboro Camara.
2. Ceux qui « pourraient être considérés comme pénalement responsables pour leur implication dans les événements », mais dont le rôle et le degré exact d’implication devraient être examinés dans le cadre d’une enquête judiciaire. Il s’agit de Claude Pivi (dit Coplan), ministre de la Sécurité présidentielle, qui dément avoir été présent mais que des témoins ont pourtant vu aux abords du stade vers 11h, et du colonel Abdulaye Chérif Diaby, ministre de la Santé.
3. Ceux dont l’implication présumée les désigne comme devant faire l’objet d’une enquête plus approfondie. Il s’agit en premier lieu du remplaçant de fait de Dadis Camara à la tête de la junte depuis le début de décembre, le général Sékouba Konaté, du sous-lieutenant Marcel Koivogui, du général Mamadouba Toto Camara, du ministre de la Jeunesse et des Sports, Fodéba Isto Keira (qui aurait détruit les preuves dans le stade), de la directrice de l’hôpital Donka, Fatou Sikhe Camara, et de quelques autres.

Nous vous proposons d’abord la lecture intégrale des faits qui pèsent sur le chef de la junte de l’époque, le capitaine Moussa Dadis Camara.

  1. Le capitaine Moussa Dadis Camara, Président de la République de Guinée
  2. La Commission considère qu’il existe des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du Président Moussa Dadis Carnara, voire une responsabilité de commandement, pour les faits qui se sont produits dans le contexte de l’attaque et les jours suivants.
  3. Les unités principalement responsables des violations commises au stade sont les forces « d’élite» du CNDD et les plus loyales envers le Président Moussa Dadis Camara. Les bérets rouges, unité qui existait déjà sous le régime précédent, ont été réorganisés et placés sous l’autorité d’hommes très proches du Président, à savoir le capitaine Claude Pivi et le lieutenant Toumba (lequel a ensuite attenté à la vie du Président). Les Services spéciaux de lutte antidrogue et du grand banditisme ont quant à eux été créés par le CNDD immédiatement après sa prise de pouvoir, sous le commandement d’un autre haut dignitaire du parti, le commandant Moussa Thégboro Camara, Contrairement à J’armée régulière que le Président Camara a décrite comme indisciplinée, ces unités ont leur quartier-général au camp Alpha Yaya Diallo, où est installée la présidence.
  4. Le commandant Thégboro a informé la Commission qu’il était avec le Président la nuit du 27 au 28 quand Sidya Touré a été appelé. Bien que le Président ait déclaré à la Commission que le commandant Thégboro « prend ses dispositions », ce dernier a expliqué à la Commission qu’ « il faut suivre la hiérarchie » et que ses seuls supérieurs sont le Premier Ministre et le Président de la République; il dispose d’ailleurs d’un numéro de téléphone réservé aux appels du Président. Dans ces circonstances, le commandant Thégboro n’aurait pas pu aller au stade ou décider de quelque action que ce soit en relation avec les événements sans avoir reçu des ordres du Président ou du moins l’autorité d’agir en son nom.
  5. Le lieutenant Toumba a également assuré qu’il dépendait directement du Président et que, le jour des événements, le Président lui avait directement ordonné d’aller au stade pour protéger les leaders politiques et renvoyer tout militaire de l’armée régulière en caserne. Le lieutenant Toumba et le commandant Thégboro ont informé la Commission que, lorsque la violence a éclaté au stade, leur mission était de protéger les leaders politiques. Tous les deux ont déclaré avoir obéi de façon responsable aux ordres, comme en atteste le fait que les leaders politiques qu’ils ont personnellement évacués du stade n’ont pas été tués. Les leaders politiques n’ont toutefois pas été amenés à l’hôpital tout de suite, bien que certains d’entre eux fussent visiblement gravement blessés. Le commandant Thégboro et le lieutenant Toumba les ont amenés à l’état-major de la gendarmerie où le chef d’état-major de la gendarmerie, le commandant Balde, a appelé le Président pour lui dire qu’il fallait les emmener à l’hôpital. Le Président aurait consenti à cette requête.
  6. La Commission a reçu de nombreux témoignages indiquant que les auteurs des violences exécutaient des ordres lorsqu’ils se trouvaient au stade. Une victime a rapporté qu’un béret rouge lui avait demandé « Pourquoi vous êtes venue au stade? Maintenant je ne peux rien faire pour vous aider », tandis qu’une autre, qui suppliait un militaire de ne pas la tuer lorsqu’elle a été découverte dans sa cachette au stade vers 15h00, a rapporté qu’il avait répondu « Bâtarde, c’est moi qui t’ai appelée. Dadis nous a dit de vous tuer tous ».
  7. Lorsque le commandant Thégboro et le lieutenant Toumba sont allés au stade, leurs actions et celles de leurs subordonnés peuvent être directement attribuées au Président. Le commandant Thégboro et ses hommes, qui se trouvaient déjà aux abords du stade, se sont déployés vers le stade. Le lieutenant Toumba et ses hommes sont quant à eux venus directement du camp Alpha Yaya Diallo, voire du camp Kundara, pour investir le stade. En dépit d’une arrivée indépendante au stade, la mission des deux chefs était identique et leur hiérarchie mène au Président – celle du lieutenant Toumba à travers le Ministre Pivi (même si le premier a déclaré à la Commission qu’il dépendait directement du Président) et celle du commandant Thégboro à travers le Premier Ministre.
  8. La Commission conclut qu’il y a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’une coordination entre tous les groupes armés impliqués dans l’attaque du stade, y compris les miliciens. Un policier a rapporté avoir vu des hommes en civil, accompagnés de deux pick-up de bérets rouges, partir dans des bus « Soguitrans » du camp Alpha Yaya Diallo. Plusieurs témoins ont vu de tels bus arriver au stade et débarquer des hommes en civil qui ont ensuite participé directement aux violences, avec des armes blanches, en coordination avec des groupes de bérets rouges et de gendarmes de Thégboro. Il faut rappeler que les quartiers-généraux du Président Moussa Dadis Camara, du commandant Thegboro, du capitaine Pivi et du lieutenant Toumba se trouvent tous au camp Alpha Yaya Diallo, dans un rayon de quelques centaines de mètres.
  9. Le lendemain des événements du stade, le Président a déclaré en public: « L’aspect le plus choquant est que j’ai essayé de moraliser et de sensibiliser les leaders politiques, leur disant qu’il y a eu des cas similaires dans le passé et que je ne veux pas que la même chose se reproduise À plusieurs reprises, le Président a attribué la responsabilité des événements aux leaders politiques qui ont organisé une « manifestation subversive », «préméditée» ou une « insurrection ». Il a déclaré que les leaders politiques étaient « responsables d’avoir envoyé les enfants des autres à l’abattoir ». Le Président a déclaré à la Commission que les leaders politiques avaient déjà vu la réaction de l’armée en 2007 et que, par conséquent, « ils savaient que cette armée allait répondre ». Ses propos indiquent qu’il est convaincu que de telles manifestations mènent nécessairement et inévitablement à la violence telle que celle qui a été observé le 28 septembre et les jours suivants et témoignent de son intention d’apporter une réponse aux manifestations de 2009 similaire à celle de 2007.
  10. La Commission estime par conséquent qu’il pourrait y avoir des raisons suffisantes de présumer une responsabilité pénale directe du Président Camara dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.
  11. En tant que commandant en chef des forces armées, le Président Camara a l’ultime pouvoir de commandement sur toutes les forces de sécurité engagées dans l’attaque et les jours suivants. La Guinée est présentement sous le contrôle d’un Gouvernement militaire qui a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État. Le Gouvernement est intégré dans une structure hiérarchique militaire, avec le Président en position de commandant suprême. Le lieutenant Toumba luimême, quand la question lui a été posée au sujet de la hiérarchie, a répondu à la Commission que « l’institution militaire obéit au commandement et aux ordres et ne doit pas être traitée comme une institution civile »,
  12. Après les événements au stade et pendant les jours suivants, le Président Moussa Dadis Camara n’a rien fait pour faire cesser la commission de crimes ou punir leurs auteurs. Au contraire, quand des officiers supérieurs ont tenté d’arrêter le lieutenant Toumba pour le rôle qu’il avait joué dans les événements du 28 septembre, le Président, selon les dires du capitaine Pivi, les en a empêchés. Le 2 octobre 2009, au moment où l’implication présumée du lieutenant Toumba dans les attaques était déjà publiquement connue, le Président et son lieutenant sont apparus côte-à-côte lors de la célébration de la fête de l’indépendance de la Guinée, qui avait été largement médiatisée. Peu de temps après les événements, le Président s’est plaint de son armée indisciplinée. Toutefois, il a également démontré un haut degré de contrôle sur les militaires puisque l’armée régulière a obéi à ses ordres, transmis par l’intermédiaire du chef de l’état-major général des armées, de rester dans les casernes toute la journée malgré la gravité des événements qui se déroulaient dans la ville. De plus, la décision du Président de promouvoir, en date du 2 novembre 2009, tous les sous-officiers supérieurs et sous-officiers de l’armée au grade supérieur – une telle promotion étant prévue pour les officiers le 23 décembre -, y compris ceux qui font partie des services qui ont participé aux événements du 28 septembre, tend à démontrer que leurs actions ont été commises avec l’accord du Président.
  13. Enfin, la Commission a recueilli de nombreuses informations relatives aux efforts organisés et coordonnés en vue de dissimuler les preuves des crimes commis, des efforts dirigés par les mêmes forces de l’ordre que celles qui sont responsables des crimes. Le Président n’a rien fait pour prévenir ou arrêter ces démarches.
  14. La Commission estime, par conséquent, qu’il pourrait y avoir également des motifs suffisants de présumer la responsabilité de chef militaire et supérieur hiérarchique du Président Moussa Dadis Camara dans la commission des crimes décrits dans le présent rapport.

Prochainement, nous publierons le cas du lieutenant Aboubacar Sidiki Diakité, dit Toumba.

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