Sur un bureau encombré de documents, une boîte de tablettes de paracétamol, sur un autre un jeu de Scrabble pour tromper l’attente… Au siège de la Commission électorale en Guinée, les résultats de la présidentielle sont compilés manuellement.
Nichée dans un immeuble d’une rue non goudronnée de Conakry, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) reçoit et consigne, au gré des aléas des transports routiers, aériens, voire fluviaux, les procès-verbaux des bureaux de vote de tout le pays, dans des sacs plastique scellés.
A l’intérieur, malgré les rapports des missions d’observation internationales qui la désignent invariablement comme le maillon faible du processus électoral, ou les accusations de soumission au bon plaisir du président sortant Alpha Condé, portées par l’opposition, aucune effervescence particulière ne règne.
« Le rapport doit accompagner les PV (procès-verbaux) », rappelle une agente de la Céni, dans une la salle au rez-de-chaussée, où une dizaine d’hommes et de femmes s’affairent autour d’une grande table à recueillir PV et lots de bulletins nuls arrivés dans des cartons ou des sacs de sport.
« Ca ne va pas partir si c’est agrafé », lui répond une collègue. Les documents montent ensuite au deuxième étage, où ils seront collationnés lors de réunion de la Céni, de représentants des candidats et d’observateurs, en vue de la proclamation des résultats.
De tout premiers résultats provisoires partiels, portant sur dix des 33 préfectures, trois des cinq communes de Conakry et la majeure partie du vote des Guinéens de l’étranger, ont ainsi été annoncés mercredi soir, trois jours après le premier tour dimanche.
– Manque de confiance –
« Tout ce que nous faisons aujourd’hui, des bureaux de vote à la CACV (Commission administrative de centralisation des votes) jusqu’à la totalisation à la Céni, c’est fait manuellement », explique le porte-parole de la Commission, Amadou Salif Kébé.
« C’est un choix des politiques de ne pas permettre à la Céni l’outil informatique pour l’arrivée des résultats », ajoute-t-il.
« Mettre ce système en place ici demande une certaine confiance, une certaine sérénité que nous n’avons pas toujours eue », reconnaît-il pudiquement, en référence notamment à la suspicion de l’opposition, qui a crié à la « fraude massive » après la cascade de problèmes de logistique et d’organisation observés dimanche.
Les difficultés se sont accumulées le jour du vote: retards, manque de matériel, électeurs sans carte ou au contraire munis de carte mais ne figurant pas sur le registre de leur bureau, listes sans ordre ni alphabétique ni numérique…
Dans son rapport préliminaire publié mardi, la Mission d’observation de l’Union européenne s’étonne que « la Céni ait pris, le jour de l’élection, pas moins de sept décisions relatives au déroulement du scrutin présidentiel ».
Le chef de la Mission, Frank Engel, a jugé cette improvisation « extraordinaire », d’autant plus que certaines décisions adoptées « sont en contradiction avec le Code électoral », a-t-il dit sans pouvoir se prononcer sur les conséquences pour la crédibilité du scrutin.
La veille du vote, les quatre femmes siégeant à la Céni se sont publiquement désolidarisées du rejet par le président de la Commission, Bakary Fofana, de la demande de report du scrutin présentée par l’opposition.
Les deux précédents scrutins, la présidentielle de 2010 et les législatives de 2013, ont été entachés par des violences et des accusations de fraude.
Les sept candidats en lice face au président sortant ont réclamé lundi l’annulation du premier tour, sans même attendre les résultats.
En dépit de ces turbulences, la totalisation des résultats se poursuit à la Céni.
« Jusqu’à ce que nos ayons épuisé les derniers PV reçus », précise le directeur de la communication de la Céni, Alpha Yero Condé, interrogé sur les horaires. « Ou », ironise-t-il, « jusqu’à ce que mort s’ensuive ».