La République de Guinée commémore son indépendance chaque 2 octobre, marquant le jour où elle a courageusement rompu les liens avec la domination coloniale française en 1958. Si le symbole de l’indépendance reste puissant, la réalité d’une véritable souveraineté demeure insaisissable. Soixante-six ans après avoir obtenu la liberté politique, la Guinée est toujours liée par une dépendance économique et une exploitation néocoloniale. Les vastes ressources minérales du pays, au lieu d’être une bénédiction, se sont transformées en malédiction — entraînant une exploitation effrénée par des conglomérats étrangers bénéficiant à une élite restreinte, tandis que la majorité de la population reste appauvrie.
L’asservissement économique de la Guinée
Malgré sa richesse en ressources, la Guinée est devenue un exemple frappant d’exploitation économique moderne. Des régions comme Camsar, Boke et Siguiri regorgent de bauxite et d’or, mais les populations locales en tirent peu de bénéfices. Des entreprises étrangères, telles que le projet minier SMB-Winning Boke et la Société chinoise d’Aluminium, continuent d’extraire des millions de tonnes de minerais chaque année, tout en contribuant peu au développement local. Ces opérations ont dévasté l’environnement et marginalisé les communautés qui dépendent de la terre.
À Boke, par exemple, les conséquences écologiques de l’exploitation minière ont dégradé la terre, menaçant l’agriculture et la pêche — des moyens de subsistance essentiels pour la population locale. De même, à Siguiri, un site majeur d’extraction d’or, la richesse s’est accumulée entre les mains d’entreprises étrangères, tandis que la population locale reste dans une pauvreté extrême. La promesse de progrès économique a largement ignoré les communautés situées au-dessus des vastes ressources de la Guinée.
Un autre exemple frappant de l’asservissement économique de la Guinée est la saga continue de Simandou. Simandou, l’une des plus grandes réserves inexploitées de minerai de fer de haute qualité au monde, représente une opportunité de 20 milliards de dollars. Cependant, le développement de ce projet colossal, impliquant des entreprises comme Baowu Steel de Chine et Rio Tinto, a été marqué par une instabilité politique et des promesses d’infrastructure non tenues, telles qu’un port en eaux profondes et une voie ferrée pour relier les mines aux routes d’exportation. Bien que les parties prenantes étrangères vantent le potentiel de Simandou pour diversifier les approvisionnements mondiaux en minerai de fer et décarboniser la production d’acier, pour la Guinée, cela risque de devenir un autre chapitre de son long historique de pillage des ressources.
Instabilité politique
L’exploitation des ressources de la Guinée ne peut être comprise sans prendre en compte l’instabilité politique qui a tourmenté le pays pendant des décennies. Après l’indépendance, le premier président du pays, Ahmed Sékou Touré, a établi un État à parti unique pour favoriser l’unité nationale. Toutefois, sa mainmise sur le pouvoir a rapidement conduit à l’ethnocentrisme, à la répression politique et à la mauvaise gestion économique. À sa mort en 1984, la Guinée était économiquement affaiblie et politiquement isolée.
Après la mort de Touré, Lansana Conté a pris le pouvoir et a gouverné d’une main autoritaire jusqu’à sa propre mort en 2008. Bien que Conté ait introduit des réformes économiques limitées, son régime a été marqué par une corruption endémique et une stagnation économique. Au lieu de développer ou d’améliorer les politiques industrielles existantes, Conté les a entièrement démantelées. Les voies ferrées ont été déracinées et transférées ailleurs, les usines ont été fermées et démantelées à travers tout le pays, entraînant un chômage massif devenu chronique. Des secteurs essentiels tels que l’éducation, la santé et l’agriculture sont tombés en ruine.
Après la mort de Conté, l’armée, dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara, a mené un coup d’État en décembre 2008, marquant un autre chapitre tumultueux de l’histoire de la Guinée. Camara a promis de lutter contre la corruption et d’améliorer les conditions de vie, mais son régime est rapidement devenu synonyme de brutalité et de violations des droits de l’homme. Le tristement célèbre massacre de 2009 dans un stade de Conakry, où les forces de sécurité ont tué et agressé des centaines de manifestants réclamant un retour à la règle civile, a laissé une ombre longue sur son mandat. Cette période de brutalité et d’incertitude politique a en outre dissuadé les investissements dans les infrastructures qui auraient pu aider les communautés guinéennes à bénéficier de leurs ressources naturelles. De plus, le recrutement massif et illégal de jeunes non instruits de sa région natale de Foreh a affaibli l’administration du secteur public, résultant en un népotisme et une corruption généralisés.
Fin 2009, Camara a été blessé lors d’une tentative d’assassinat et a été évacué vers le Maroc pour y recevoir des soins médicaux. En son absence, le général Sékouba Konaté, ministre de la Défense, a pris le pouvoir et dirigé un gouvernement de transition. Konaté a œuvré pour stabiliser la nation et a finalement ouvert la voie aux premières élections démocratiques de la Guinée en 2010. Bien que la période de transition sous Konaté ait été cruciale pour éviter un conflit civil, elle n’a pas réussi à résoudre les problèmes sous-jacents de dépendance économique et d’exploitation. Par manque de compétence politique, Konaté est tombé dans le piège d’Alpha Condé, affichant un biais envers l’opposition au lieu de rester neutre pendant le processus de transition et les élections de 2010. Ce biais a contribué à un résultat controversé déclarant Alpha vainqueur.
Le régime d’Alpha Condé
L’élection d’Alpha Condé en 2010 a initialement suscité l’espoir d’un changement démocratique. Cependant, ses dernières années ont été entachées par une tentative de prolongation de son pouvoir via un amendement constitutionnel controversé, provoquant des manifestations massives et une instabilité accrue. La concentration de Condé sur la consolidation du pouvoir a détourné l’attention des réformes nécessaires en matière de gouvernance, laissant les richesses de la Guinée entre les mains de sociétés étrangères sans considération pour les coûts environnementaux et sociaux. Son régime a promis de poursuivre l’œuvre de Sékou Touré sous le slogan « La Guinée est de retour ». En réalité, Condé a surtout approfondi les divisions ethniques, subordonnant la majorité peule à un statut de citoyens de seconde classe. Malgré la répression brutale et les massacres de jeunes Peuls dans l’« Axe de la Route de Prince » à la commune de Ratoma, la jeunesse a continué à résister, luttant finalement jusqu’à la prise de pouvoir par le colonel Mamadi Doumbouya lors d’un coup d’État militaire en 2021.
Le régime militaire de Doumbouya
Le régime militaire de Doumbouya a promis une transition vers la démocratie, mais le scepticisme demeure. Son annonce de candidature aux prochaines élections a suscité de vives inquiétudes. Des opinions à la fois négatives et positives ont été largement discutées, la perspective négative gagnant davantage de terrain, en particulier parmi les intellectuels. En conséquence, la nation est au bord du chaos et de la confusion, craignant une nouvelle dégradation de son développement déjà fragile.
L’instabilité politique a souvent servi de paravent pour des accords de ressources qui enrichissent les élites tout en marginalisant la population. La situation de Simandou illustre comment l’instabilité peut faire dérailler un développement économique significatif. Les promesses d’investissement dans les infrastructures — essentielles pour le bénéfice de la population — restent non tenues dans un contexte d’incertitude politique.
Une nation en quête de changement
Les conséquences de l’asservissement économique de la Guinée sont douloureusement évidentes dans son histoire archivistique fragmentée. Les archives, qui devraient offrir un aperçu du parcours postcolonial de la Guinée, sont en ruine, reflétant la négligence de l’État et son incapacité à protéger ses actifs historiques et culturels. La création d’un ministère de la Culture en 2008 était un développement prometteur, mais il a souffert de décennies de sous-financement et de désintérêt politique.
Le problème fondamental est que la Guinée n’a jamais vraiment eu l’occasion de prendre en main son propre destin. Le modèle économique établi sous la domination coloniale, qui voyait la richesse du pays extraite au profit des étrangers, demeure aujourd’hui en place — bien qu’il soit désormais déguisé sous la forme d’investissements multinationaux modernes. Les communautés locales voient leurs terres détruites, leurs moyens de subsistance effacés, et leur avenir volé, tandis que les entreprises étrangères extraient des milliards de dollars de bénéfices.
Un jour de promesses non tenues
Chaque année, le 2 octobre, la Guinée commémore sa Journée de l’Indépendance — un rappel des sacrifices consentis pour se libérer de la domination coloniale. Ce jour devrait célébrer la liberté et le progrès, mais il sert aussi de rappel brutal du travail qui reste inachevé. La Guinée n’a pas été en mesure de traduire son indépendance en une véritable souveraineté. La présence persistante du néocolonialisme, sous forme d’accords d’exploitation des ressources, continue de lier la nation à un système global inégal.
La commémoration de l’indépendance doit désormais servir d’appel à l’action : une reconnaissance que la stabilité politique, la gouvernance transparente et une répartition équitable des richesses sont des prérequis à la vraie liberté. Le peuple guinéen mérite de bénéficier des ressources naturelles de son pays, et cela ne se produira que lorsque ses dirigeants seront responsables et que les partenaires étrangers seront soumis à des conditions équitables.
Le parcours de la Guinée-Conakry, de la soumission coloniale à l’indépendance, puis aux prises avec le néocolonialisme moderne, est le témoignage à la fois de la résilience et des vulnérabilités de la nation. Ses riches ressources naturelles, au lieu d’être une bénédiction, sont devenues des symboles d’esclavage économique, exploitées par des conglomérats étrangers et des dirigeants corrompus, tandis que la population locale reste appauvrie.
Pour véritablement honorer son indépendance, la Guinée doit se libérer des cycles d’instabilité politique et d’exploitation économique qui ont défini son histoire postcoloniale. Les régimes de Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et Sékouba Konaté ont perpétué des systèmes de gouvernance qui n’ont pas protégé le peuple et les ressources de la Guinée. Le régime militaire actuel, dirigé par le colonel Mamadi Doumbouya, a l’opportunité de faciliter une véritable transition démocratique — une transition qui priorise le bien-être du peuple guinéen par rapport aux intérêts des puissances étrangères et des élites enracinées.
Les archives fragmentées, la commémoration de l’indépendance et la mémoire collective d’une lutte unifiée offrent des aperçus d’espoir et de résilience. Elles nous rappellent que la promesse de l’indépendance reste à portée de main. Pour l’accomplir, la Guinée doit embrasser une gouvernance responsable, exiger un traitement équitable de ses partenaires étrangers, et s’assurer que la richesse sous son sol profite à tout son peuple. Ce n’est qu’alors que la Guinée pourra atteindre la véritable souveraineté pour laquelle son peuple s’est battu il y a plus de six décennies.
Par Thierno Mohamadou Diallo, enseignant-Chercheur en Relations Internationales et en Anglais