Avec Convulsions, l’écrivain guinéen Hakim Bah, 29 ans, a remporté le Prix Théâtre RFI 2016. Il sera décerné ce dimanche 25 septembre dans le cadre des Francophonies en Limousin, à Limoges. Le jury, présidé par l’écrivain Laurent Gaudé, a salué « un texte audacieux et d’une grande maîtrise ». Convulsions est la réinterprétation contemporaine d’un mythe grec qui passe de la mise à mort d’un demi-frère jusqu’à la violence inhérente de l’US Green Card Lottery, la fameuse porte d’entrée aux États-Unis pour les désespérés du monde entier.
Sous son chapeau gris, style écrivain assumé, se cache un regard franc et un sourire esquissé. À première vue, Hakim Bah a l’air d’un jeune homme frêle et fragile, mais, attention, son style littéraire est féroce et sans concession. Depuis sa formation initiale en ingénierie informatique jusqu’au Prix RFI Théâtre, l’auteur guinéen a parcouru un long chemin : « J’ai fait des études d’informatiques pour devenir informaticien. Mais j’écrivais aussi de la poésie, après des nouvelles et plus tard, le théâtre m’a absorbé. »
« La mort est une fête »
Dans ses pièces, l’amour s’écrit souvent avec le mot « mort » au milieu. Un élément clé dans l’œuvre de Hakim Bah. Le texte couronné par le Prix RFI Théâtre fait partie de la trilogie Face à la mort. Convulsion est le dernier volet, doté d’un chœur antique jubilatoire : « La mort est une fête ». Qu’est-ce qui fait qu’on tue la personne qu’on aime ? « Dans le premier volet de la trilogie, une mère tu sa fille pour la protéger, explique l’auteur. Dans le deuxième volet, un père tue la mère pour protéger son fils. Et dans ce troisième volet, c’est le père qui tue son fils sans le savoir. »
Sénèque, Shakespeare et Hakim Bah
Convulsion commence avec une scène d’horreur : le supplice et la mise à mort d’un demi-frère torturé par les deux jumeaux, Atrée et Thyeste. Ensuite on assiste aux pulsions meurtrières d’un voisin trompé avant d’atterrir dans l’univers mortifère provoqué par l’US Green Card Lottery. L’enjeu n’est pas la conquête sanglante du pouvoir ni de restituer la mythologie grecque dont Hakim Bah s’est inspiré pour le récit. Le jeune écrivain guinéen voulait écrire ce qu’il n’avait pas trouvé chez Sénèque et Shakespeare. « Ce qui m’a poussé à réécrire le mythe de Sénèque, c’était de raconter l’histoire à travers de ce qui me touche aujourd’hui. Par exemple, la femme n’apparait presque pas chez Sénèque. Je voulais lui redonner sa place. J’aime bien Shakespeare, mais, ce qui m’intéresse, c’est surtout le point de vue social des choses. »
« Le plaisir dans la violence »
Pour nous entrainer dans l’univers de la violence, il emploie souvent un style répétitif. Comme s’il voulait nous dire : bien rythmée, la violence procure un immense plaisir. « Je pense qu’il y a souvent du plaisir dans la violence. Ceux qui font ou qui sont dans la violence trouvent un plaisir, une jouissance pendant la violence, même si, après, ils se rendent compte de la gravité des choses et qu’on ne peut plus rattraper les choses. Je travaille beaucoup sur ce point, la répétition, tourner et user les mots. »
Pour arriver à un style ciselé, situé au plus près des protagonistes, il « écoute » beaucoup ses personnages pour pénétrer au plus profond de ses sujets de prédilection : la mort, la guerre, la trahison, la dictature, la violence. « Lors de l’acte de l’écriture, je suis en connexion avec mes personnages, pour parler avec eux, respirer avec eux, pour insuffler la respiration dans l’écriture. »
« Je découvre l’espace théâtral »
Hanté par les mots, Hakim Bah travaille aujourd’hui la théâtralité de ses textes. Il vient même d’obtenir un master de mise en scène et dramaturgie à l’Université de Paris-Ouest Nanterre. Visiblement, le théâtre est devenu son royaume : « Le théâtre est l’endroit où l’on peut tout stocker, où je peux faire appel à tous les genres. Avec Convulsions, j’ai essayé de faire appel à la fois à la poésie et au récit. Mais je découvre encore le théâtre, je n’ai pas une éducation théâtrale. Ce qui me passionne au théâtre, c’est le texte à l’oreille, l’aspect de l’oralité. Avec la mise en scène, je découvre l’espace théâtral. C’est assez plaisant. »
Ce que lui a poussé à écrire, à devenir poète et écrivain ? « Je ne sais pas du tout comment j’ai commencé à écrire, mais je me suis retrouvé à un moment en train d’écrire. Je me souviens juste d’une chose : c’était en 2005, on devait faire le baccalauréat et après, il y avait des mouvements politiques à Conakry et dans toute la Guinée. Il y a eu des répressions, des grèves dans tout le pays, le ministre nous avait dit de rentrer en classe. On s’est révolté et puis il y a eu pas mal de violences. Je notais tout ce qui s’est passé et j’écoutais RFI. C’est suite à cela que je commençais à écrire par-ci par-là des poèmes. »
Hanté par les mots et l’histoire du Guinée
Hanté par les mots, il se dit aussi hanté par l’histoire de son pays, la Guinée. Pour lui, le pire, c’est qu’il a parfois l’impression que, aujourd’hui, en Guinée, on ne sait pas qui est victime et qui est bourreau. Plusieurs de ses pièces, dont Le Cadavre dans l’œil [écouter ici la pièce interprétée par Denis Lavant], s’interrogent sur cette question : « J’ai rencontré quelqu’un qui a passé sept ans au camp de Boiro, à Conakry, sous la dictature de Sékou Touré. Alors j’ai essayé de faire une sorte de géographie de ce camp pour savoir ce qui s’est passé. Jusqu’à aujourd’hui, on tourne autour du même point, ce rapport bourreaux-victimes. Parfois un bourreau accuse même des victimes et les victimes ne savent plus s’ils sont victimes ou bourreaux. J’ai l’impression que ce sont toujours les mêmes personnes qui sont là, le même système continue. »
Les six nouvelles rassemblées dans Tachetures examinent une jeunesse guinéenne tiraillée entre la violence et le désespoir. Pendant sa propre jeunesse, Hakim Bah était marqué par le hip-hop qui a aussi influencé son écriture : « Oui, à un moment donné, c’était la chose à laquelle on pouvait s’accrocher. Le hip-hop osait à dire les choses, malgré les menaces. Il nous donnait un espoir et apportait un rythme. Parfois on a envie que cela cogne dans les mots. Aujourd’hui, je m’interroge aussi sur la musicalité de ce que j’écris. »
Repousser les démons
Et malgré la reconnaissance grandissante depuis ses débuts remarqués avec A bout de Sueurs ou Ticha-Ticha et des textes joués en Afrique et en Europe,sortir une phrase n’est toujours pas facile. « Oui, il y a des moments où l’on se dit : être écrivain, c’est une malédiction [rires]. Parfois, on voit bien que les personnages sont mauvais, mais est-ce qu’on doit les repousser et étouffer leurs paroles, parce qu’ils sont des bourreaux ou des gens odieux ? Je me dis : en laissant la parole à ces gens-là, on pourra les découvrir et éviter que ces choses se reproduisent. En découvrant toute cette violence qui peut se cacher dans l’humain, on peut peut-être repousser ces démons. »
Par RFI