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Guinée : urgence pour notre Justice malade

L’affaire Ousmane Gaoual Diallo a suscité une controverse entre les spécialistes du droit en Guinée. Ce fût d’abord les avocats d’Ousmane Gaoual et le populaire juriste Mohamed Camara qui contesteront la décision du procureur de la République d’avoir engager des poursuites de flagrance contre le député en arguant qu’il n’y a pas de flagrant délit. Puis, ce sont les avocats des responsables du RPG et enfin les magistrats du parquet dans leurs conférences de presse de confirmer qu’il y a bel et bien flagrant délit. Nous étions confus.
Toutefois, j’ai confronté les arguments de ceux qui confirment le flagrant délit aux arguments détaillés du doyen Elhajj Saidou Nour Bocoum dans son article Ousmane Gaoual ou l’ordre judiciaire dans le Titanic publié sur son site nrgui.com et ceux du juriste Ibrahima Sory Makanera dans son article Affaire Ousmane Gaoual : Quand le parquet de Conakry au grand complet confond « le flagrant délit  » et « l’enquête de flagrant délit  » publié sur le site Le Guépard.
J’avoue que j’ai été plutôt convaincu par les arguments de ces deux derniers.
Ce qui me fait penser que, soit nos magistrats sont incompétents ou soit ils se croient obligés d’obéir aux injonctions du pouvoir en tordant le droit par des interprétations qui ne tiennent pas, car comme le reconnaît le porte – parole du ministère de la justice M. Ibrahima Beavogui « Ce n’est pas tous les juristes qui peuvent faire une interprétation des lois…Surtout, le droit pénal est d’interprétation stricte. C’est-à-dire qu’il ne faut pas aller au – delà de ce que le législateur a dit ». Or, curieusement, c’est le parquet sensé bien interpréter ce que le législateur a dit qui va au – delà dans ce cas précis. Ils confondent certainement à dessein flagrant délit et enquête de flagrant délit.
Comme il est établi, selon l’interprétation stricte de l’article 50 du Code de procédure pénale guinéen qui définit le flagrant délit, qu’il n’y a pas dans cette affaire de flagrant délit, et par conséquent, le député Ousmane Gaoual Diallo ne doit pas être convoqué, arrêté ou jugé sans la levée préalable de son immunité parlementaire conformément à l’article 65 de notre Constitution. C’est pas une première en Guinée où en 1998, les députés de l’UNR Bâ Mamadou, Mamadou Barry, Thierno Ousmane Diallo et le député du RPG Alpha Condé tous incarcérés sans avoir lever leur immunité parlementaire.
En droit, la forme commande le fond, en raison des vices de procédure constatés dans ce dossier, le juge doit purement et simplement classer cette affaire en prononçant un non-lieu.

Mais nous ne pouvons pas continuer à subir les conséquences d’une justice inféodée au pouvoir exécutif. C’est une situation extrêmement grave que nous vivons depuis l’indépendance de notre pays en 1958. Le mal remonte de loin.
L’indépendance Judiciaire est l’élément fondamental de la primauté du droit, car elle donne au public la confiance dans une application impartiale et équitable des lois. Nulle part cet intérêt n’est plus évident que dans la protection judiciaire des droits de l’homme. Nous le savons tous que cette confiance du public n’a jamais existé en Guinée depuis 1958. En effet, dès l’indépendance, le chef de l’exécutif s’est employé à domestiquer les deux autres pouvoirs législatif et judiciaire, ce qui a ouvert la voie au viol systématique de tous les droits humains dans notre pays jusqu’à nos jours. Voici ci-dessus quelques articles de notre Constitution du 10 novembre 1958 dont le non respect est une preuve éloquente de la dérive dictatoriale des dirigeants Guinéens. Il faut rappeler que ces articles ont été repris par les constitutions de 1990 et 2010.
Article 10 : Aucun membre de l’Assemblée Nationale ne peut – être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou vote émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.
Article 11 : Sauf en cas de flagrant délit aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée de son mandat, être poursuivi en matière criminelle qu’avec l’autorisation de l’Assemblée.
La détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée le requiert.
Article 35 alinéa 4 : Dans l’exercice de leurs fonctions judiciaires, les juges n’obeissent qu’à la loi.
Article 36 : Les audiences de juridiction sont publiques, sauf dans les cas particuliers prévus par la loi.
Le droit à la défense est reconnu à l’accusé
Article 37 : L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle assure le respect des droits des citoyens dans les conditions prévues par la loi.
Article 40 : Les citoyens de la République jouissent de la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association, de cortège et de manifestation dans les conditions prévues par la loi.
Article 42 : Nul ne peut – être arbitrairement détenu.
Article 43 : Le domicile des citoyens de la République de Guinée est inviolable.
Le secret de la correspondance est garanti par la loi.
Article 45 : Tout acte de discrimination raciale, de même que toute propagande à caractère raciste ou régionaliste sont punis par la loi.
Aucun de ces articles de la Constitution de 1958 et leurs équivalents des Constitutions de 1990 et 2010 n’ont été respectés en Guinée. Sur la base de ces textes et de leurs actes liberticides, qui peut contester la forfaiture morale et politique des dirigeants qui se sont succédés à la tête de notre pays?
En violation de la Constitution, l’Assemblée Nationale, sur instruction du chef de l’exécutif, s’est érigée en tribunal pour condamner à mort des centaines de Guinéens sans leur présence et la défense de leurs avocats. Des milliers de Guinéens fuyant la misère et les persécutions ont été froidement abattus à nos frontières sous le régime PDG. En 1984, on avait crié « Plus jamais ça » , malheureusement dès 1985, des dizaines d’officiers accusés de coup d’Etat et les anciens bourreaux du PDG furent sommairement exécutés sans procès. En 2007, ce sont des centaines de jeunes manifestants qui furent massacrés par l’armée. La commission d’enquête constituée à cet effet pour faire la lumière sur ce crime abominable a été empêchée par le pouvoir de faire son travail. Ce crime est rentré dans l’oubli. Ce qui a permis à l’armée de récidiver en massacrant encore le 28 septembre 2009 les jeunes manifestants. Une preuve de plus de la domestication du Judiciaire par l’Exécutif, malgré l’inculpation des officiers militaires par la justice, Alpha Condé n’en a cure, il les maintient en fonction et fait obstruction à la justice. Comme pour le massacre de 2007, il espère que celui de 2009 finira aussi dans les placards de notre amnésie nationale. Les dizaines de jeunes assassinés ces cinq dernières années et les villageois de Zogota tués dans leur sommeil nous rappellent que nous n’avons pas encore fini avec nos démons de la violence d’Etat que certains veulent masquer dans une malhonnête opération de réconciliation nationale sous le contrôle de nos bourreaux.
A la lumière de ce passé et présent sanglants, nous voyons bien que personne n’est à l’abri de la fureur meurtrière d’individus sans foi ni loi.
Nous constatons aussi les graves conséquences d’un Judiciaire aux ordres.
Alexandre Hamilton, l’un des auteurs de la Constitution américaine, dans l’article 78 des « Federalist papers », défend le rôle du pouvoir judiciaire dans la structure constitutionnelle. Il y soutient « qu’il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice(…) La liberté n’a rien n’a craindre du Judiciaire seul, mais surtout à craindre de son union avec l’un des deux autres pouvoirs ».
En Guinée, il faut être aveugle pour ne pas voir où nous a mené la fusion de ces trois pouvoirs entre les mains d’un seul : des milliers de vies humaines brisées et la faillite morale et économique de notre pays.

Lors de la première conférence de presse annonçant la création de notre parti l’Alliance des Forces Démocratiques AFD le 20 octobre 2014, j’ai insisté sur la nécessité d’une vaste réforme de la Justice. Nous devons engager de profondes réflexions sur l’organisation générale de notre système judiciaire et sur sa place dans notre Constitution. D’ores et déjà pour garantir l’indépendance du Judiciaire par rapport à l’Exécutif, le président de la République et le ministre de la Justice doivent être exclus respectivement de la présidence et de la vice-présidence du Conseil Supérieur de la Magistrature ou de tout autre future institution supervisant notre appareil judiciaire.
Ce sont les deux principes essentiels d’indépendance et de responsabilité du Judiciaire qui doivent garantir la primauté du droit.
C’est une question de vie ou de mort pour nous tous, mais aussi elle conditionne notre développement économique. Mais le pessimisme est permis dans la mesure où notre classe politique dans son ensemble, ne nous encourage pas à croire à leur farouche volonté d’instaurer un Etat de droit, car les simples voeux pieux ne suffisent pas. C’est un problème de fond qui questionne tous les acteurs de notre société sur notre ferme volonté de mettre fin à ce système hideux qui a détruit notre pays.

Par Alpha Saliou Wann

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