Guinée : « comment peut-on faire confiance à Alpha Condé? » (Tribune)

Ils sont nombreux celles et ceux qui m’ont demandé ce que je pensais de la rencontre Alpha Condé -Cellou Dalein Diallo. J’avais déjà exprimé ma position avant la rencontre, mais je vais encore insisté sur certains aspects de mon intervention.

Il ne faut pas perdre de vue les objectifs principaux de notre lutte. Depuis le début des années 1990, nous nous battons pour l’instauration de la démocratie et de l’Etat de droit dans notre pays. Contrairement au général Lansana Conté, Alpha Condé était sensé être un démocrate qui allait respecter et faire respecter la nouvelle Constitution promulguée le 7 mai 2010. Cela fait bientôt six ans qu’il est mis à l’épreuve et aucun acteur politique ne doit se tromper désormais sur la nature de son pouvoir. Il est clair que comme ses prédécesseurs, il n’a aucun respect pour la Constitution et les lois du pays. Il fait tout selon son plaisir, il n’y a aucun autre pouvoir sauf le sien. Dans ces conditions, faudrait-il s’accommoder de cette dictature ou la combattre? En scrutant son parcours politique, on se rend compte qu’il a toujours enfreint aux règles et principes Démocratiques établis et donc il a fallu l’exercice du pouvoir d’Etat pour mettre à nu sa volonté de puissance et son refus systématique de se plier aux lois de la République. Il a retenu de notre histoire que les Guinéens aiment se faire bercer d’illusions. Il s’est fait chef illusionniste pour leur dire ce qu’ils aiment entendre. Ses promesses n’engagent que ceux qui le croient. Depuis son arrivée au pouvoir, comme un schéma immuable, chaque année on parle de dialogue politique qui suscite espoir et par la suite déception. Mais cela n’empêche que les politiques et les citoyens en redemandent encore en espérant toujours qu’Alpha Condé va enfin respecter ses engagements. Je ne m’appuie que sur des faits irréfutables. Le 18 juillet 2011, il avait dit : « J’ai instruit le ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation d’entamer sans délai le dialogue avec tous les acteurs de la vie politique et du mouvement social dont l’objectif est de créer une plate – forme en vue de dégager un minimum de consensus sur les meilleurs moyens pour organiser une élection législative équitable, transparente et crédible ». Rien n’a été fait, par contre, il y a eu des manifestations le 27 septembre 2011 avec morts, blessés et arrestations massives pour le rappeler à ses engagements. En janvier -février 2012, un dialogue entre la mouvance présidentielle et l’opposition présidé par Monseigneur Albert Gomez a décidé de lui envoyer ses conclusions pour qu’il tranche sur leurs divergences, il n’a jamais répondu à cette correspondance. Le 3 juillet 2013 un accord a été signé entre les acteurs politiques et cosignés par les médiateurs de l’ONU, de la France, des Etats -Unis et de l’UE notamment. Il n’a pas respecté ses engagements. En juillet 2014, un autre dialogue présidé par le ministre de la Justice a obtenu l’accord de toutes les parties pour l’organisation des élections locales prévues dans le précédent accord au premier trimestre 2014, il en a rejeté les conclusions. Pour faciliter la tenue des élections présidentielles et locales, un dernier accord a été signé le 20 août 2015, cette fois-ci encore comme à son habitude, il n’a pas tenu ses engagements. Et voilà en 2016 qu’avec une simple rencontre avec le chef de file de l’opposition, on se met à espérer qu’il tiendra ces engagements.

A la présentation du compte rendu de leur entretien, il nous avoue publiquement que c’est sa volonté qui prime sur nos lois et il traite avec mépris notre parlement et donc le peuple de Guinée. En effet, il a dit que la loi sur le statut de chef de file de l’opposition a été votée à l’unanimité (il l’a promulguée le 23 décembre 2014) et qu’en fin de compte, c’est maintenant qu’il a décidé de l’appliquer, c’est une preuve que tout est fait selon son humeur et non conformément aux lois de la République. Cette attitude aurait inquiété tout politique qui lutte pour le respect du droit. C’est ce qu’il a fait avec toutes les institutions prévues par la Constitution que sont le parlement, la Cour Constitutionnelle, l’institution nationale des droits de l’homme, le médiateur de la République, toutes installées en 2014 et la Cour des comptes après la fin de son mandat en 2015. Il reste le Haut conseil des collectivités locales parce qu’il s’est payé le luxe de ne pas organiser les élections locales. Et on lui demande avec candeur de bien vouloir autoriser l’installation de la Haute Cour de Justice. Comment peut-on raisonnablement faire confiance à un tel dirigeant ?

Il faut rappeler que cette loi sur le statut de chef de file de l’opposition est inspirée de celle que Blaise Compaoré avait initiée au Burkina Faso qui a pour objectif en réalité d’apprivoiser le principal opposant. Elle commence à devenir la règle dans les pays francophones en Afrique. Pour Alpha Condé, la solution à tous ses problèmes avec l’opposition consiste à accorder les droits et privilèges du chef de file de l’opposition en se disant que « la bouche pleine ne peut parler ». C’est regrettable pour notre pays.

Maintenant la potion magique pour sortir notre pays du marasme c’est « la décrispation politique « . Nous pensons que le fait que les acteurs politiques s’entendent pour mettre de côté la Constitution va nous faire avancer, c’est à dire le respect de cette Constitution et de nos lois est un boulet qui nous empêche d’amorcer notre développement économique, donc il ne faut pas être regardant sur les principes. On pense naïvement que cette entente des politiques au détriment du droit permettra l’afflux des investisseurs dans notre pays. Hormis le secteur minier (où les puissantes multinationales nous imposent leur loi d’airain), les investisseurs ne se pointent pas dans des pays où l’Etat n’est pas soumis au droit, c’est le talon d’Achille de l’Afrique et les pays africains l’ont compris font de gros efforts pour progresser dans le respect de l’Etat de droit. Le risque juridique est très élevé en Guinée et contrairement à ce qu’on croit, les élections locales sont extrêmement importantes aux yeux de tous ces investisseurs qui travaillent partout dans le monde civilisé avec les municipalités des pays de leurs implantations. L’argent n’aime pas le bruit, mais il a surtout besoin de sécurité. La sécurité des investissements est une priorité pour tous les bailleurs des fonds. Or le spectacle que leur offre la classe politique n’est pas rassurant parce que les acteurs politiques s’accordent sur des arrangements pour résoudre des questions qui sont déjà réglées par la Constitution et les lois qu’il suffit simplement de faire appliquer. C’est une preuve suffisante à leurs yeux de leur incapacité à respecter les contrats. On n’a plus besoin de conciliabules où on tort le cou de la loi pour organiser des élections au Sénégal ou au Ghana par exemple, pourquoi s’étonner que ses pays reçoivent plus que nous les faveurs des investisseurs? On oublie en Guinée que la politique et l’économie sont liées. C’est pas pour rien que depuis 2011, Alpha Condé a voyagé sur tous les continents, à part l’Océanie, pour vendre la Guinée sans qu’il ne trouve des preneurs. Ces derniers après renseignements se sont rendus compte que le vendeur n’est pas réputé respectueux de ses engagements.

Nous ne devons pas laisser sombrer notre pays et il n’est pas question de s’accommoder de cette dictature. Nous sommes encore loin de notre objectif de la démocratie et de l’Etat de droit dans notre pays pour baisser les bras. Les jeunes Guinéens, comme partout ailleurs où il y a eu le changement démocratique, doivent s’organiser pour lutter contre ce système malfaisant, parce qu’ils sont les principales victimes de la faillite de notre Etat.

Par Alpha Saliou Wann

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