Elections locales : ce qu’il faut faire (Opinion)

Le débat sur les conclusions du dialogue est pollué par des considérations et arrières pensées politiciennes. Nous devons regarder au-delà de nos intérêts partisans pour que le droit triomphe dans notre pays et que nos populations puissent choisir librement et en toute transparence leurs dirigeants. Incontestablement la Constitution a été violée par les recommandations du dialogue notamment en ce qui concerne l’annulation des élections des conseils de quartiers et de districts et le report de la révision des listes électorales. Dans la mesure où les conseillers de quartiers et de districts sont des représentants du peuple, le fait de ne pas les élire directement par les citoyens de leurs localités est une violation de l’article 2, alinéas 1 et 3 de la Constitution : La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum. Le suffrage est universel, direct, égal et secret. Que ce soit au niveau national ou local, les représentants du peuple sont élus au travers d’élections spécifiques, il ne saurait donc être question de les désigner sur la base des résultats parcellaires d’une autre élection différente.

Maintenant, ils disent prendre acte de la complexité et des difficultés liées a l’organisation des élections dans 3.763 quartiers et districts du pays. Au regard de cette complexité, les parties au dialogue recommandent que : le conseil de quartier/district soit composé au prorata des résultats obtenus dans les quartiers/districts par les listes de candidature à l’élection communale. A cet effet, les parts au Dialogue invitent l’Assemblée Nationale à procéder en conséquence à la révision du Code électoral. En fait, dans leurs explications, ils parlent surtout de l’impossibilité d’installer une Commission Administrative de Centralisation pour les 3.763 circonscriptions que comptent cette élection.

A mon avis, s’il faut réviser la loi organique portant Code électoral, c’est sur ce point qu’il faut le faire et non annuler purement et simplement cette élection pour élire les conseils de quartiers et de districts. Il s’agit de l’article 85 du Code électoral qui dispose :

Le recensement des votes d’une circonscription électorale sera le décompte des résultats du scrutin présentés par les différents Bureaux de vote de ladite circonscription.

Le recensement des votes est effectué en présence des représentants des candidats ou des listes de candidats par une Commission Administrative de Centralisation nommée par acte du Président de la CENI. Cette commission est composée comme suit :

  • Président, un Magistrat de l’ordre judiciaire proposé par la Cour constitutionnelle,
  • Vice-président, un représentant de l’Administration, proposé par le Ministre chargé de l’Administration du Territoire,
  • Rapporteur proposé par la CENI,
  • Deux assesseurs tirés au sort parmi les représentants des candidats ou liste de candidats.

Les résultats arrêtés par chaque Bureau de vote et les pièces annexées ne peuvent en aucun cas être modifiés.

J’ai entendu dire que nous n’avons pas les moyens d’installer les Commissions Administratives de Centralisation des votes dans les 3763 circonscriptions des quartiers/districts et les 342 circonscriptions des communes, d’où la proposition d’annuler l’organisation des élections de conseils de quartiers/districts et leur désignation à partir des résultats d’une autre élection en l’occurrence l’élection communale. Comme cette disposition est inapplicable, on doit la modifier (cette mesure est de la partie règlementaire de la loi) pour simplifier les opérations de dépouillement des votes. Après avoir consulté plusieurs codes électoraux de pays africains, je me suis inspiré de celui qui est plus adapté à la résolution de notre problème, il donne en outre, plus de garanties quant à la transparence de la centralisation des résultats avec le contrôle effectif des magistrats dont le nombre est porté de un à trois. Voici ma proposition de modification de l’article 85 :

Au niveau de chaque préfecture et de chaque commune de Conakry est créée une Commission Administrative de Centralisation des votes. Cette commission est composée de :

  • Trois magistrats dont l’un assure la présidence, tous désignés par le Premier Président de la Cour suprême parmi les magistrats des Cours et Tribunaux;
  • Un représentant de la CENI
  • Un représentant de chaque candidat ou liste de candidats et son suppléant.

Au niveau national est créée une Commission Nationale de Centralisation des votes. Cette commission est présidée par le Premier Président de la Cour d’Appel de Conakry. Elle comprend en outre, de deux magistrats nommés par le Premier Président de la Cour suprême, un représentant de la CENI ainsi qu’un représentant de chaque candidat ou liste de candidats et son suppléant.

Les Commissions Administratives de Centralisation procèdent au recensement des votes à partir des procès-verbaux de chacun des bureaux de vote.

La Commission Nationale de Centralisation des votes procède au recensement des votes à partir des procès-verbaux des Commissions Administratives de Centralisation. Les résultats arrêtés par chaque Bureau de vote et les pièces annexées ne peuvent en aucun cas être modifiés.

Elle transmet les résultats provisoires à la CENI pour leur proclamation.

Il faut abroger les articles 102 et 125 qui ne sont pas conformes à l’article 2 alinéa 3 de la Constitution. En ce qui concerne l’article 125, il s’agira de rétablir le principe de l’élection des conseils régionaux au suffrage universel, direct, égal et secret. C’est dommage qu’Alpha Condé ait privé les populations guinéennes de la possibilité offerte par notre Constitutions et nos lois de pouvoir s’administrer librement par leurs représentants élus à tous les niveaux. La politique de décentralisation a été un échec, il y a eu certes, les textes législatifs, mais l’Exécutif a toujours piétiné leur application depuis sous le régime du général Lansana Conté jusqu’a nos jours. L’établissement des Conseils régionaux est un approfondissement de la décentralisation instaurée par la Constitution de 2010, mais hélas, c’était sans compter sur la volonté de puissance d’Alpha Condé qui veut tout contrôler dans le pays. Il faut le dire d’ailleurs avec force, qu’il a systématiquement refusé de faire appliquer la Constitution. C’est très étonnant que les article 159 et 160 de la Constitution aient été délibérément ignorés. Pourtant l’article 159 fixe une période de six mois maximum pour organiser les élections législatives à partir de l’adoption de la Constitution et l’article 160 aussi fixe une période de six mois maximum pour  l’installation de la Cour constitutionnelle, la Cour des comptes, l’Institution nationale des droits humains, le Médiateur de la République et le Haut conseil des collectivités locales à compter de l’installation de l’Assemblée Nationale. Et les élections locales doivent être organisées trois mois avant l’installation du Haut conseil des collectivités locales, donc dans cette période de six mois après l’installation de l’Assemblée Nationale. Comme on le voit, Alpha Condé n’avait pas le droit, les dispositions transitoires de la Constitution ne l’y autorisent pas, de ne pas organiser les élections législatives et locales ainsi que la mise en place des institutions républicaines dans les délais constitutionnels. Lui,le juriste a mal lu la Constitution du 7 mai 2010 qui ne lui donne pas la liberté de mettre en place progressivement certaines de ses dispositions sur cinq ans, contrairement au général Lansana Conté qui en avait le droit conformément aux articles 92, 93, 94 et 95 de la Constitution du 23 décembre 1990. Son refus de respecter la Constitution a mis notre pays dans une situation de non-droit. Nous tournons en rond en organisant des dialogues où les acteurs politiques négocient l’application stricte des lois, en se donnant le droit de les contourner, voire de les violer comme c’est le cas en 2013, 2015 et 2016. On ne marchande pas les dispositions constitutionnelles, c’est le péché originel de la classe politique guinéenne. Il fallait simplement mettre Alpha Conde, le véritable responsable de la crise institutionnelle, devant ses responsabilités en lui disant clairement que la Constitution est non négociable quant il s’agit de son application. Devant le peuple de Guinée et la communauté internationale, il faut brandir la Constitution pour que ça soit clair pour tous que c’est Alpha Condé qui est la source de la crise politique et qu’il doit se soumettre à la loi pour éviter le désordre dans le pays.

Revenons à notre sujet pour donner une piste légale qui nous permettre d’aplanir les difficultés d’organiser les élections locales. Après une revue du Code électoral et du Code des collectivités locales qui ne viole pas la Constitution, notamment cet article 85 concernant les Commissions Administratives de Centralisation des votes,  nous pouvons aisément organiser ensemble le même jour les élections des conseils de quartiers/districts, les conseils communaux et les conseils régionaux. Les électeurs Guinéens et la CENI ont déjà l’expérience du vote aux élections législatives qui requièrent deux bulletins de vote pour le scrutin de liste nationale à la représentation proportionnelle nationale et le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Pour ces élections locales, il y aura cette fois-ci trois bulletins pour les trois scrutins des quartiers/districts, les communes et les régions. La CENI peut donc organiser sans difficultés ces élections, d’ailleurs elle n’a jamais dit que c’est techniquement compliqué de le faire, mais plutôt que ce sont les contraintes administratives et juridiques qui l’en empêchaient.

Je pense que la sagesse commande de respecter notre Constitution et de ne pas tuer dans l’oeuf la politique de décentralisation qui peut-être une bonne opportunité pour nos populations. Il doit y avoir un vrai transfert de compétences et surtout de moyens de l’Etat vers nos collectivités à la base. Nous ne voulons pas d’une utilisation politicienne de cette affaire, nous appelons simplement à plus de responsabilité les acteurs politiques pour qu’ils mettent en avant l’intérêt de nos populations meurtries par l’anti-gouvernance des dirigeants du pays.

Par Alpha Saliou Wann

 

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