Notre chroniqueur retrace trois années de crise depuis le départ du président François Bozizé, chassé du pouvoir par les rebelles de la Séléka en 2013.
C’est désormais une évidence : le double scrutin présidentiel et législatif organisé en décembre 2015 en Centrafrique n’a pas tiré le pays de la crise qu’il traverse depuis le renversement, en mars 2013, du président François Bozizé par les rebelles de la Séléka. A analyser de près le climat sécuritaire à Bangui, la capitale, et dans le reste du territoire national, on peut même affirmer que rien n’a véritablement changé, même si le pays s’est doté d’un président de la République et d’un Parlement élus au suffrage universel. Cette situation paradoxale s’explique par une succession d’erreurs commises par ce qu’on désigne abusivement, sans doute, la « communauté internationale ». Ici, il s’agit de tout le monde sauf les Centrafricains eux-mêmes.
La RCA n’est pas le Mali
« Je serai intransigeant sur la date de l’élection présidentielle » avait déclaré en juin 2013 lors de la remise du Prix Houphouët-Boigny pour la promotion de la paix à l’Unesco le président français François Hollande en parlant du Mali.
Aussitôt dit, aussitôt fait : la présidentielle a été organisée le 28 juillet 2013 alors que de nombreuses personnalités maliennes estimaient que les conditions n’étaient pas réunies pour un scrutin libre, transparent et démocratique. Le candidat du Parti de la renaissance nationale (Parena), Tiébilé Dramé, s’était même retiré de la compétition pour, disait-il, protester contre le diktat des partenaires du Mali.
A Paris, les responsables chargés du dossier centrafricain, notamment au ministère de la défense, en étaient arrivés à être convaincus que la recette électorale malienne pouvait être appliquée en Centrafrique aussi. Endossant la grille de lecture française de la crise en Centrafrique, la communauté internationale a ainsi commis sa première erreur suivant le postulat : mieux vaut une mauvaise élection que pas d’élection du tout.
Comme si cette première erreur ne suffisait pas, la communauté internationale y a ajouté une deuxième, en considérant qu’on pouvait parvenir à une sortie de crise sans forcément procéder au désarmement des milices armées, principalement les anti-balaka et la Séléka. En effet, si, aux premières heures de l’opération française « Sangaris » lancée le 5 décembre 2013, les militaires français avaient procédé au désarmement et au cantonnement des rebelles de la Séléka, ce processus a été très vite abandonné. Les rebelles, qui n’en demandaient pas tant, en ont profité pour se replier dans le nord avec armes et bagages.
Censée prendre la relève de « Sangaris », la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (Minusca) n’a pas non plus érigé en priorité le désarmement des milices armées. « J’ai souvent eu un malentendu avec mes amis centrafricains qui me demandent de désarmer les milices. Ce n’est pas mon mandat », avait expliqué, en décembre 2014 à Dakar, le général sénégalais Babacar Gaye, qui dirigeait à l’époque la Minusca.
Le pire est à venir
La décision de la France de retirer, d’ici au 31 décembre, ses forces déployées en Centrafrique dans le cadre de l’opération « Sangaris » constitue la troisième grande erreur d’appréciation de la communauté internationale sur la crise issue de la chute de Bozizé. Le niveau actuel de sécurité dans le pays plaide plutôt en faveur du maintien de la présence militaire française. La seule capable d’opposer une riposte robuste et appropriée aux velléités de reconquête du pouvoir par les groupes armés. Les forces armées centrafricaines (armée, police, gendarmerie) n’ont pas par ailleurs atteint le seuil d’opérationnalité qui leur aurait permis de prendre en charge la sécurité intérieure et la défense du territoire national.
Pour ne rien arranger aux sombres perspectives, les casques bleus n’ont pas jusqu’ici pas apporté la preuve qu’ils peuvent assurer, comme le leur impose leur mandat, la défense de la population. La défiance de la population envers les soldats onusiens est d’autant plus grande qu’elle a entraîné ces derniers jours des émeutes meurtrières pour exiger leur départ du pays. Le retrait de « Sangaris », qui obéit en réalité à des exigences de politique intérieure française (engagement en Irak et en Syrie, opération « Sentinelle »), pourrait donc précipiter le basculement de la Centrafrique dans la violence armée. Il n’est un secret pour personne dans les milieux informés à Paris et à Bangui que les groupes armés ont calé leur agenda de reconquête du pouvoir sur le départ de « Sangaris », la seule force de dissuasion du pays.
Les anti-balaka s’y préparent, confortés par le retour le 3 août de Jean-Francis Bozizé, ancien ministre de la défense et fils du président renversé François Bozizé.
Pour leur part, les ex-rebelles de la Séléka, qui contrôlent les régions diamantifères du nord, en ont profité pour se rééquiper et se réorganiser autour de plusieurs de leurs chefs emblématiques, dont Noureddine Adam. S’y ajoute, pour compléter ce sombre tableau, le sentiment de déception quant au début du quinquennat du président Faustin-Archange Touadéra.
Attendu sur de grands chantiers tels que la réconciliation nationale, la relance économique, le retour des réfugiés et le redéploiement de l’administration sur l’ensemble du pays, le professeur de mathématique semble dépassé par l’ampleur de la tâche.
La quatrième erreur de la communauté internationale serait pourtant de ne rien faire pour l’aider à réussir. En tout cas, l’enjeu dépasse la seule Centrafrique pour se poser en défi pour toute l’Afrique centrale, déjà déstabilisée par la situation au Burundi, la crise post-électorale au Congo, les tensions politiques en République démocratique du Congo (RDC) ainsi que les incertitudes liées à la longévité au pouvoir du Camerounais Paul Biya et du Tchadien Idriss Déby.
Par Seidik Abba, chroniquer le Monde Afrique