La situation économique de la Guinée est plus que fragile. Alors que la croissance démographique est de 2,5 % par an, la progression du PIB était presque nulle en 2014 et en 2015. Cela signifie que les Guinéens s’appauvrissent, d’autant que le taux d’inflation reste élevé (autour de + 9 %). Le pays semble faire peur aux investisseurs, le magazine américain Forbes l’ayant classé au deuxième rang des pires pays pour les affaires (143e sur 144 pays classés), après le Tchad. Si le FMI prévoit une croissance de 4 % en 2016, la Guinée devra faire des efforts afin de résoudre les problèmes liés à la dégradation de son déficit budgétaire. Les caisses sont vides, et le budget de l’Etat pour 2016 est de 5 % inférieur à celui de 2015. Autant de paramètres qui ne doivent pourtant pas conduire le pays d’Alpha Condé à accepter tous les investissements étrangers, notamment chinois, quels que soient leurs contrecoups environnementaux.
Les conséquences économiques du virus Ebola ont été considérables. De l’ordre de 4,5 % en 2012 et de 2,3 % en 2013, la croissance s’est effondrée à 0,6 % en 2014, année de la propagation du virus, et a difficilement atteint 0,9 % en 2015. Une chute libre qui s’explique en partie par la stratégie chinoise à cette période, ayant consisté à se retirer du pays en attendant que la crise sanitaire soit passée, puis à revenir une fois la Guinée aux abois – tandis que d’autres pays tentaient, eux, d’apporter leur aide. Mais cette catastrophe ne suffit pas à expliquer la mauvaise santé de l’économie guinéenne. Le pays reste trop dépendant des ressources de son sous-sol, et le ralentissement chinois, qui provoque la chute des cours de la bauxite et du fer, a des conséquences néfastes sur une économie peu diversifiée.
Or, la décélération chinoise doit justement pousser les Etats africains à revoir leur stratégie. Tous les experts s’accordent à dire que les gouvernements africains dépendent trop du secteur minier pour leurs exportations. Ils soulignent l’importance de recentrer le commerce entre la Chine et l’Afrique sur d’autres types d’investissements tels que le BTP, l’agriculture ou encore les infrastructures. Même la Banque mondiale reconnaît aujourd’hui qu’elle a eu tort d’oublier l’agriculture comme outil de développement, les cultures d’exportation et l’agriculture vivrière étant des instruments importants de la lutte contre la pauvreté.
Ainsi, la stratégie qui consiste à tout miser sur la bauxite est sans doute périlleuse, mais peut-être aussi irresponsable. Il est vrai la Guinée détient les premières réserves mondiales du minerai, dont le prix résiste mieux que ceux du platine, du cuivre ou du fer. Et la Chine, principal producteur et consommateur d’aluminium au monde, regarde avec convoitise les 25 milliards de tonnes de bauxite que contient le sous-sol guinéen, la bauxite étant indispensable à la production d’aluminium. En mars 2015, le plus grand producteur d’aluminium chinois, China Hongqiao Group, signait un accord avec la Guinée pour sécuriser son approvisionnement en bauxite. 200 millions de dollars vont être investis dans le but de sortir 10 millions de tonnes du précieux minerai.
C’est sans doute une opportunité pour la Guinée. L’entrée en production de nouvelles mines de bauxite apportera une bouffée d’oxygène au budget de l’Etat et permettra de créer des emplois. Mais cela se fera au prix d’une dépendance toujours plus impitoyable du secteur minier et de la Chine. Soit exactement le contraire de ce que tous les experts internationaux préconisent. Et cela sans mentionner les risques écologiques liés à l’extraction de la bauxite, dont les anciens partenaires de la Chine pourraient témoigner. En effet, avant de se tourner vers la Guinée, la Chine a creusé les sous-sols du Vietnam, de l’Indonésie et de la Malaisie. Le bilan écologique et social a été à chaque fois désastreux. Les sociétés chinoises ne se sont pas montrées particulièrement concernées par les contrôles et la réglementation des pays où elles s’implantaient.
Elles agissaient souvent dans l’illégalité et ne respectaient aucune mesure sanitaire, pratiquant la politique de la terre brûlée avec une gloutonnerie inédite. Pour RFI, « la commission anti-corruption de Malaisie aurait ainsi listé de nombreuses lacunes dans l’attribution des permis par les autorités locales, trop laxistes sur la compétence et la gestion de l’environnement des opérateurs miniers ». Le plan était simple : tout ravager au plus vite et déguerpir sans avoir à en assumer les conséquences. Pari tenu : en Malaisie, dans toute une partie de la péninsule, l’eau est devenue rouge, impropre à la consommation. Les dégâts seront palpables des années encore.
Lors de son premier quinquennat, le président guinéen Alpha Condé avait inauguré le grand barrage de Kaléta, qui a permis aux habitants de Conakry de s’éclairer enfin à l’électricité. Car il faut dire que malgré un potentiel hydro-électrique estimé à 6 000 mégawatts, le taux d’accès des populations à l’électricité reste encore très bas en Guinée. Or, le conseiller à la présidence Kassory Fofana avait lui-même calculé que chaque dollar investi dans la production de courant créait 18 dollars d’activités nouvelles. Voilà peut-être une voie dans laquelle persévérer, plutôt que de brader les richesses minières du pays à un partenaire qui ne semble pas décidé à les exploiter de façon durable.
Tribune proposée par Sylvain Dartois
Ladiplomtie.fr