Le régime du général Mamadi Doumbouya fait face à la période d’après-gouvernement Goumou. Lamarana Petty-Diallo éclaire la voie vers un futur meilleur à travers un choix de dix solutions pratiques à prendre pour réussir. Lisez !
La Guinée vient de connaître, en ce 19 février 2024, l’un des plus spectaculaires changements de gouvernement. Si spectaculaire, que ses acteurs ont tout simplement parlé de dissolution.
Le terme « dissolution » ne s’applique pas, dans les conditions normales, à un gouvernement qui relève de l’Exécutif. En politique, on l’emploie lorsqu’il s’agit du législatif. Quand le chef de l’Exécutif met fin avant son terme, au mandat d’une des chambres du parlement, Assemblée nationale ou Sénat, on parle de dissolution.
Notre pays n’ayant, en ce moment, d’Assemblée nationale -la seule chambre dont elle dispose depuis l’indépendance – la dissolution annoncée ne pouvait s’appliquer qu’au seul Conseil national de la transition (CNT). Elle pouvait concerner, par extension, les associations régies par la loi guinéenne.
Cependant, le signataire du décret a pris le soin de lui conférer l’aspect dont recouvre une dissolution. En effet, les cinq (5) mesures conservatoires annoncées dans le communiqué du Chef d’état-major général des armées au nom du Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD), renvoient à des notions juridiques de : confiscation de biens, droits, retrait de statut ou de services, gel des avoirs, etc.
Dès lors, nous n’avons plus affaire à un simple changement, mais réellement à une dissolution.
Pourquoi dissolution et nom démission du gouvernement ?
Nous venons de voir les raisons de l’emploi du vocable dissolution en lieu et place de remaniement, de changement, de démission du gouvernement. Voyons-en les raisons, enjeux et hypothèses.
Les facteurs de la dissolution
Des facteurs évidents qui faisaient jaser la cité pourraient être évoqués. La guéguerre entre deux ténors, et pas des moindres, du gouvernement, serait devenue intenable pour le chef de l’Exécutif guinéen qui se serait retrouvé dans un grand dilemme.
L’opposition d’ordre personnel entre deux protagonistes, loin d’un simple conflit d’égos, risquait de se transformer en une crise gouvernementale. Les deux sieurs Gomou et Wright, pour ne pas les nommer, étaient apparemment sourds à tout : aux injonctions de leur chef en tout premier lieu, mais aussi aux tentatives de médiation de certains membres influents du gouvernement et d’autres personnes ressources.
Plutôt en récalcitrants, pour employer ce terme scolaire, chaque ministre ayant naturellement de pros et anti, le gouvernement allait inéluctablement imploser. Le Conseil des ministres deviendrait alors un lieu de déchirement clanique ; d’invectives, de menaces. Bref un endroit où l’on dégaine sur fond de règlement de comptes au détriment des intérêts de la nation.
Les enjeux du conflit
Dans les conditions définies ci-haut et aux enjeux, deux alternatives : renvoyer un des protagonistes ou tous les deux et remanier. Sinon, changer tout le gouvernement.
Au vu du déchaînement médiatique, de l’attitude incontrôlable des deux ministres, destituer l’un en gardant l’autre serait incompréhensible. Presque injuste. On sait également que changer de Premier ministre par démission ou renvoi implique de faire tomber le gouvernement. En toute vraisemblance, la démission ne pouvant être envisagée tant on s’accrochait à sa vérité, on faisait prévaloir son statut, il a fallu tout changer.
Très certainement l’atmosphère gouvernementale elle-même était devenue si explosive qu’il fallait virer tout le monde. Un tel coup de balai a sûrement pour objectif de discipliner les futurs rescapés et les éventuels nouveaux entrants.
Anticiper et couper l’herbe sous les pieds
L’accumulation de conflits intra gouvernemental et de remous sociaux est l’une des hypothèses qui a conduit à la dissolution.
Les crises de toute nature : sociale, électrique, d’hydrocarbure, d’Internet, cherté de la vie à l’approche du mois de ramadan avec ses habituelles flambées de prix par nos chers commerçants feraient également partie des éléments déclencheurs du décret du 19 février.
Devançant les commerçants et leurs pratiques mercantiles ; prenant de court la société civile et les syndicats qui seraient avides de manifestations, parfois de renom ; trompant l’obscurité en apportant une lueur d’espoir aux Guinéens avec un éventuel futur gouvernement ; atténuant l’odeur nauséabonde des hydrocarbures devenue inflammable socialement ; réorientant le débat sur Internet ailleurs, l’Exécutif guinéen a voulu taper fort. Il a alors dissous le gouvernement.
Mais si fort est le coup, si grand est l’espoir, si douloureux l’échec. Par conséquent, le coup de maître tenté par le CNRD ne doit pas être raté cette fois-ci. Au cas contraire, retenons tous ensemble la trilogie de mon raisonnement. Pour éviter la validité de celle-ci, à savoir l’échec, j’émets dix pistes de réflexion.
Des propositions post-dissolution pour que notre pays mette en place une politique de solution en sortant cette fois-ci de la politique politicienne.
Premièrement : s’assumer et faire le distinguo
Le Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD) doit s’assumer : c’est-à-dire, se montrer nommément aux Guinéens. Il doit faire savoir clairement, nom, prénom, statut, fonction de chacun de ses membres.
Certains le qualifient de nébuleuse, parce qu’il est illisible, invisible et méconnu. La structure est là avec sa dénomination, mais qui s’assume publiquement comme membre ? Une manière toute simple de lever l’équivoque.
Dans le prochain gouvernement : mentionner, pour tout membre du CNRD qui serait nommé au gouvernement: un tel… membre du CNRD est nommé Ministre de… Ainsi, point d’ambiguïté.
Aux autres membres du gouvernement : indiquer le statut et fonction : Ministre d’Etat ou ministre de… tout court.
Cette distinction ne devant donner une ascendance des uns sur les autres aurait l’avantage de faire connaître aux citoyens le statut de chacun et sa qualité au sein de l’équipe gouvernementale.
C’est une approche pédagogique qui a sa valeur en politique où le flou peut certes exister mais sans en être la règle de conduite.
Deuxièmement : dissoudre pour recycler ne sert à rien
S’il faut bassiner les Guinéens avec du délavé du lendemain du 19 février 2024, il aurait mieux fallu virer les deux bagarreurs.
Point de politiciens en mal de poste. Ces chefs de parti qui sortent les broderies quémandées par-ci, par-là et qui balaient les rues de la capitale tellement elles sont amples et qui envahissent les médias en se faisant passer comme des prophètes des temps futurs, on n’en veut pas. Ils nous envahissent déjà par leur prophétie. Ceux-là feront du CNRD ce qu’ils ont contribué à faire du Conseil national pour le développement et la démocratie (CNDD). On les entend depuis le lendemain de la dissolution avec leur propos : « Cette fois-ci, il faut que… ; le CNRD n’a qu’à… ; moi, j’avais déjà dit… ; on n’a plus droit à ceci, à cela…» Non plus, ces dames qui sortent les mari-capables (camisole ou coiffe de la femme qu’on portait d’une manière exubérante en le ramenant au front) dans les années soixante du PDG et qui satinent leur peau, plus que ne le ferait le meilleur des cordonniers, pour aguicher les tenants du pouvoir. Celles-là non plus ne feront pas l’affaire des Guinéens.
Hors de question également, de nous ramener des inexpérimentés. Ces néo-opportunistes ou des dandys politiciens admirateurs des courants politiques de Sékou Touré à Alpha Condé en passant par tous les autres. Ces acrobates de tous les systèmes ne feront que noyer la Guinée davantage.
Troisièmement : le choix à faire
La proposition précédente induit la troisième.
Il faut juste des patriotes et la Guinée devient ! C’est sans commentaire et je considère que l’essentiel est dans la force de la proposition.
Quatrièmement : jeunesse sans vieillesse, c’est une ruche sans abeilles
La jeunesse en elle seule ne fait pas un État. La vieillesse est pétrie d’expériences, mais souvent démunie de force pour valoriser et mettre en pratique ce qu’elle a accumulé en connaissances ou en théorie. Il faut donc l’addition des deux entités pour construire une nation, édifier ou renforcer un Etat.
Le prochain gouvernement devrait être l’alliage des deux. Au cas échéant, ce serait une ruche sans abeilles. Dans ce cas, le miel, avec sa saveur métaphorique, en termes de démocratie, de progrès et autres que nous attendons depuis risque de foirer à nouveau.
Cinquièmement : concilier pour construire
Concilier « le monde militaire et le monde civil ». Tout simplement le militaire et le civil.
En effet, le militaire sans le civil, c’est comme chausser le pied gauche et laisser le droit et inversement. En période de transition, la complémentarité est nécessaire. Mais, il faudrait éviter de se considérer comme bien d’autres le font actuellement avec le raisonnement du genre « je suis militaire, je suis au-dessus » ; « c’est nous qui avons le pouvoir ».
À éviter également, tout au plus, il faudrait mettre fin à cette vérité toute faite chez nous et peut-être ailleurs : « Le pouvoir militaire, ce n’est pas bon ». Cependant, on l’applaudit, quand il fait tomber les torpilleurs de constitution.
Sixièmement : prendre en compte le contexte politique
Nous devrions prendre en compte une chose : le contexte politique de nos Etats, notamment d’Afrique de l’Ouest francophone.
La réalité actuelle de nos pays fait que les militaires sont au pouvoir. Ils ne devraient être ni trop ménagés ni persécutés. Il faudrait trouver les voies et moyens de les rassurer pour qu’ils rendent le pouvoir au moment opportun sans crainte du lendemain.
En contrepartie, l’armée au pouvoir ne devrait pas perdre de vue qu’elle est un refuge quand ça ne va pas. Si elle faisait en sorte que les citoyens la considèrent comme une menace, elle aurait elle-même contribué à ternir l’image qu’on lui donne. Une preuve évidente : le 5 septembre 2021 fut une fête.
Mais demandons-nous tous ensemble si la fête continue.
Septièmement : aller à la quête de l’international
La Guinée a eu l’intelligence de ne pas se couper du monde : des organisations sous-régionales, continentales et internationales.
Les sanctions n’ont pas poussé les autorités actuelles au jusqu’au-boutisme. C’est tant mieux. Il faudrait persévérer et continuer à faire prévaloir le langage diplomatique.
Cela implique naturellement la satisfaction de certaines demandes ou exigences des organisations et partenaires : Cédéao, Union africaine, Onu, etc.
Le pays devrait s’y atteler plus qu’il ne l’a fait jusqu’ici. C’est la seule issue possible, raisonnable, apaisante et durable. On a besoin des organisations internationales et inversement, mais elles détiennent la clé. Ainsi va le monde. Du moins, jusqu’à maintenant.
En diplomatie, négocier le couteau sous la gorge fait perdre des points. Alors, concédons et satisfaisons les termes clés pour alléger le quotidien et le futur de nos populations.
Huitièmement : lever les barrières
De barrières, il en existe beaucoup chez nous : politiques, ethniques surtout. Jamais culturelles ou religieuses, notre pays étant l’un des plus laïcs de la sous-région. Le Parti démocratique de Guinée (PDG) mérite ses lauriers en la matière.
Il est temps de juger les détenus de l’ancien régime ou de les élargir si toutefois les raisons de leur détention sont minces ou graciables.
Il est tout aussi nécessaire d’ouvrir les portes aux exilés quelles qu’en soient les raisons. Ce serait une étape importante pour une réconciliation et un démarrage serein du futur gouvernement censé entamer le dernier (ou avant-dernier) angle droit de la transition.
Neuvièmement : donner une raison d’espérer
Les Guinéens ont toujours espéré de leurs gouvernants. Jamais un ratage les a poussés à ne pas admirer leurs dirigeants. Parfois à les aduler. Certains diront que c’est dommage. Nous soutenons le contraire.
En dépit des déceptions, le peuple a tenu. On sait bien que, si un peuple prête le flanc à un pouvoir qui échoue, c’est le pays qui implose. C’est la nation qui éclate et vole en lambeaux.
Notre peuple a toujours espéré en de lendemains meilleurs. Nous avons tous connu les prières de nos parents : « Que Dieu Aide la Guinée ; qu’Il nous unisse ; Qu’Il apaise les cœurs », etc.
Faire en sorte que le Guinéen se réveille un matin avec le sourire grâce à l’action de ses gouvernants serait une victoire sur le passé. Ce serait réaliser une part de rêve de chacun de nos devanciers partis avec cet espoir. Il est temps que cela soit.
Dès lors, chacun d’entre-nous pourrait dire qu’il n’a pas vécu pour rien car les prières de nos parents auront été exaucées de son vivant.
Le CNRD devrait s’y atteler en dépassant certains écueils de notre passé politique. Ainsi, aurait-il repris du poil de la bête.
Dixièmement : un retour au 5 septembre 2021
Le 5 septembre 2021 a été un autre jour d’espoir. Un jour comme en 1958, ce serait trop dire. Mais, au moins comme tous les jours qui ont annoncé une fin de régime.
Le CNRD devrait tout faire pour éviter que son départ n’amène la clameur qui a accueilli la fin du troisième mandat. Il est encore temps d’éviter le destin de celui qu’on a scellé le sort pour cause d’obstination.
Pour cela, il faudrait juste revenir à l’abécédaire du 5 septembre 2021. À l’essentiel de la Charte. A la quintessence des promesses du premier discours aux Guinéens. Certes, rien de plus simple et de plus compliqué aussi.
Simple, parce qu’il s’agit d’une question de volonté politique contenue dans les points précédents. Compliqué, parce que les freins visibles et invisibles sont à surmonter.
A propos, nous ne saurions trop dire car seul celui qui porte le sel sait combien il est lourd.
En plus, celui qui n’a pas mangé le piment ne saurait transpirer à la place de l’autre (celui qui l’a mangé). En d’autres termes, seules les autorités actuelles sont à même de savoir la face cachée des choses.
Une évidence cependant : la patience des Guinéens commence à se fissurer.
Le futur gouvernement devrait être à la hauteur. Il ne devrait être ni la pâle copie, ni le clonage des précédents. Tout naturellement, on ne saurait tout jeter mais on peut faire le bon tri. Notre salut est à ce prix.
On pourrait conclure en disant que le CNRD doit redonner des raisons d’espérance. Il a fait rêver. Il doit mettre fin au désenchantement qui commence. En cela, le choix des femmes et des hommes du gouvernement à venir est fondamental. Presque vital.
Nul citoyen, à moins qu’il ne soit apatride, ne souhaiterait l’échec de son pays. De ses gouvernants passés, actuels ou futurs.
Nul non plus ne saurait éperdument se contenter de promesses sans lendemain.
La relation entre gouvernants et gouvernés tient justement sur le fil qui sépare les deux bords : promesse-réalisation. Un fil si solide quand il est honoré, mais si fragile lorsqu’il n’est pas respecté.
Notre espoir, c’est que cette dissolution apporte la solution politique d’une transition réussie, apaisée dans une échéance acceptée par tous.
Par Lamarana-Petty Diallo