Dans son nouveau livre d’entretien « Alpha Condé. Une certaine idée de la Guinée », François Soudan, directeur de la rédaction du groupe Jeune Afrique et ami intime d’Alpha Condé tente de légitimer le Changement constitutionnel voulu par le Chef d’Etat Guinéen en faisant référence à son passé d’opposant. Que reste-t-il aujourd’hui des valeurs démocratiques défendues autrefois par Alpha Condé ?
De l’opposant persécuté au dirigeant oppresseur
Alpha Condé a été le visage de l’opposition guinéenne pendant près d’un demi-siècle. En 1970, il est poursuivi par le régime du Président Sékou Touré, et se retrouve condamné à mort par contumace et contraint à l’exil. Il se réfugie alors en France, où il vit pendant 38 ans, ce qui lui valut le surnom de « Mandela guinéen ». Depuis la France et dès les années 60, Alpha Condé fit sa renommée en tant qu’opposant et fervent défenseur de l’alternance démocratique, tout d’abord en tant que leader étudiant au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), d’où sont issus de nombreux nationalistes africains et dont il devient Président en 1963. C’est le point de départ de son engagement dans la vie politique de la Guinée. En 1977, il crée le Mouvement National Démocratique (MND). Clandestin parce qu’illégal, pendant des années, le MND va subir plusieurs changements qui finiront par aboutir à la création du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), actuellement au pouvoir. De retour à Conakry, il se présentera à l’élection présidentielle de 1993 remportée par le Président Lansana Conté puis de nouveau en 1998, il est alors emprisonné. En 2000, il sera condamné à 5 ans d’emprisonnement. Suite à l’indignation internationale et la mobilisation suscitées par son emprisonnement, il sera libéré en 2001. Après la mort de Lansana Conté et la prise de pouvoir par la junte militaire, il s’engage de nouveau pour la tenue d’élections démocratiques.
Candidat à l’élection présidentielle de 2010, il est élu Président de la République de Guinée. Il déclare alors « une ère nouvelle » pour la Guinée et annonce son intention de devenir « le Mandela de la Guinée » en unifiant et développant son pays. Il sera réélu en 2015 malgré les soupçons de fraudes pesant sur le scrutin.
A l’approche de la fin de son second mandat, Alpha Condé a radicalement changé de visage. Prêt à tout pour briguer un 3ème mandat illégal, il a entrepris de changer la Constitution car cette dernière interdit à un Président élu de se présenter à trois mandats successifs. De manière générale, le régime referme l’espace publique et interdit les manifestations qu’il réprime dans le sang. Les arrestations arbitraires de journalistes et d’opposants protestant pacifiquement contre le 3ème mandat ont indigné les ONG de référence en matière de défense des droits de l’homme et de liberté de la presse. Dans un rapport accablant, Human Rights Watch déplore les violences des forces armées ayant causé la mort de dizaines de manifestants pacifiques. Une enquête exclusive d’Amnesty International a révélé la présence des forces d’élites de l’armée, les bérets rouges, dans de nombreuses manifestations pacifiques de civils. Reporter Sans Frontière a également réagi aux nombreuses arrestations de journalistes ayant relevé les violations de l’Etat de droit et le caractère liberticide du régime d’Alpha Condé.
Le RPG, parti présidentiel à pied d’œuvre pour imposer le projet de nouvelle Constitution
Depuis le début de son second mandat, le Président Alpha Condé n’a respecté aucune échéance électorale. Les députés sont hors mandat depuis le mois d’avril 2019 et les résultats des élections municipales n’ont pas donné lieu à la prise de fonction des maires élus aux sein des municipalités où le RPG est perdant.
Fin mai 2019, Amadou Damaro Camara, le chef de la majorité présidentielle au parlement, annonçait l’intention du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), le parti au pouvoir, de modifier la Constitution. Le député a expliqué que le projet de modification visait à améliorer la Constitution actuellement en place, pour créer des institutions plus fortes, en réponse à la volonté du peuple. C’est aussi au nom du respect de la volonté du peuple que l’ancien dirigeant Lansana Conté tentait de justifier sa longévité au pouvoir et sa démarche de changer la Constitution également appelée Loi Fondamentale…une démarche dénoncée dans une lettre ouverte par Alpha Condé en 1994, alors Secrétaire générale du RPG. En voici un extrait;
« Le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple a servi d’alibi pour maints gouvernements pour ballonner leur peuple (…) Mais depuis, vos promesses se sont réduites comme une peau de chagrin pour s’évanouir au travers d’une Loi Fondamentale qui ne donne de chance aux Guinéens d’être au diapason démocratique que dan 5 ans. La Loi Fondamentale, tout comme les récentes élections municipales organisées à Conakry apparaissent ainsi comme des manœuvres pour retarder l’avènement du multipartisme en Guinée tout en donnant l’impression de donner la parole au peuple pour le choix de ses dirigeants municipaux. »
Récemment le Ministre de la Justice Cheick Sacko, proche du Président Alpha Condé a démissionné. Dans sa lettre de démission, il fait référence à son opposition au projet de nouvelle Constitution dont il souhaite se désolidariser. Cette action a été perçue comme une onde de choc et témoigne de l’isolement du Président au sein de son parti.
L’opposition dans sa globalité, s’est regroupée au sein du Front National de Défense de la Constitution (FNDC) pour lutter contre ce qu’elle considère comme un hold up constitutionnel et démocratique, en rassemblant le secteur privé las de la mauvaise gouvernance du régime, les associations sociales et les partis d’opposition.
Alpha Condé et ses fidèles amis de la Françafrique
Afin de faire passer son projet de nouvelle Constitution, Alpha Condé compte sur ses soutiens de la Françafrique. C’est en France, où il est parti à l’âge de 15 ans pour poursuivre ses études secondaires, qu’il se lie d’amitié avec ceux qui deviendront les fervents soutiens de ses dérives autoritaires, comme Bernard Kouchner au lycée Turgot à Paris. L’ancien ministre des Affaires étrangères français est réputé pour son sens aigu du business, notamment en Guinée où il a facilité l’acquisition du port de Conakry à l’industriel français Bolloré comme le relève l’Express en 2011, ou encore sur ses activités en lien avec la santé (Jeune Afrique, 2012) sur lesquelles le Docteur Kouchner souhaite rester discret, jusqu’à congédier un journaliste trop curieux (France Info).
Alpha Condé s’entoure également d’Albert Bourgi qu’il rencontre alors qu’il était étudiant à la Sorbonne. Frère de Robert Bourgi, figure historique de la Françafrique, Albert Bourgi est avocat et auteur de la préface du livre de François Soudan. Il est la principale plume travaillant au projet de réécriture de la Constitution guinéenne.
Autre soutien remarqué François Soudan, le Directeur de la rédaction du groupe Jeune Afrique. Ce dernier n’a jamais caché sa longue amitié avec le locataire de Sékhoutouréya, qu’il défend lors d’une interview au média ivoirien L’Infodrome en 2018 en ces termes : « Alpha Condé, c’est quelqu’un que j’ai connu ici à Paris, bien avant qu’il ne soit chef d’Etat. C’était difficile, beaucoup de gens le fuyaient, et je ne vois pas en quoi le fait qu’il soit devenu un chef d’Etat devrait faire de lui mon ennemi. ».
François Soudan, marié à une nièce et ministre du Président Sassou Nguesso, autre autocrate du continent africain, à qui il a offert son soutien dans les colonnes de Jeune Afrique lors de dernière élections au Congo en 2015, notamment suite à un changement de Constitution permettant à Sassou Nguesso de briguer encore un nouveau mandat.
« Question : DSN a-t-il, dans l’absolu, le droit de convoquer un référendum ? Réponse : oui, bien sûr, cela figure explicitement dans ses prérogatives. Peut-il convoquer un référendum sur la Constitution ? Rien ne l’interdit. Nulle part les constitutions ne sont des textes sacrés. Partout, elles sont régulièrement révisées, toilettées, rénovées, et on ne voit pas pourquoi les Africains seraient les seuls à devoir respecter, les mains liées dans le dos, des lois fondamentales d’inspiration coloniale qu’ils n’ont le plus souvent pas écrites eux-mêmes. » (François Soudan, Jeune Afrique 28 septembre 2015)
Deux mandats au bilan économique restreint
Comme le relève le FMI, dans son rapport No. 18/234 portant sur la première revue de la FEC en juin 2018, la performance économique du pays est devenue un exemple typique de croissance sans
développement, et juge que la Guinée d’Alpha Condé est celle de la précarité généralisée, de la faiblesse du développement humain, et de l’inégalité du genre. Tous les indicateurs sociaux (taux de pauvreté, d’alphabétisation, d’emploi, de scolarisation, et de mortalité infantile) sont inférieurs à la moyenne en Afrique et dans la sous-région.
La ruée vers la bauxite ne profite qu’à un réseau politico-affairiste. Ainsi le 20 avril 2019, le Président Alpha Condé s’octroie par décret la direction et gestion directe de la société guinéenne du patrimoine minier (Soguipami). L’accès à l’énergie demeure extrêmement limité. De même, la Guinée réputée pour être le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest en raison de l’affluence des nombreux fleuves la traversant, ne parvient guerre à subvenir aux besoins en eau potable de sa population.
Alors que le pouvoir est préoccupé par son seul maintien, chaque jour des millions de guinéens mènent un combat pour une vie décente et le respect de leurs libertés fondamentales.
Le « Mandela » d’hier serait-il en passe de devenir le « Bokassa » de demain ?
in Mediapart